Dimanche 22 septembre 2013
Un article, sujet : "les guérisseurs", dans un gratuit accompagnant un journal hebdomadaire tiré à plus de 250000 exemplaires. Notez ce détail : En haut à droite de la page, un encart mentionne "Prudence, il existe encore des charlatans", et au nom de différents motifs porte l’injonction "Fuyez !" ; En bas à gauche de la même page, un autre encart citant "les magnétiseurs" nous précise que "les guérisons par téléphone sont fréquentes". Affirmatif. L’article est écrit par une seule et même personne, mission : Informer le public. Cherchons l’erreur… !!!

Jeudi 18 septembre 2013
En fin d’après-midi, plus d’une soixantaine de personnes sont réunies dans les salons de la mairie de Bordeaux. Lancement de campagne ! Et pas n’importe laquelle, il s’agit de lutter par la prévention contre les "dérives sectaires". Pour les municipales, ce sera plus tard dans la soirée… Une priorité symbolique, n’oublions pas que c’est à notre Maire Alain Juppé, que l’on doit dès 1996 les premiers outils de protection contre ces abus, mal compris sans doute à cause du mot "secte" qui est réducteur car peut-être caricatural dans l’esprit collectif, alors qu’il s’agit bel et bien de s’opposer aux dégâts causés par la manipulation mentale, qui gagne du terrain notamment dans les domaines de la santé et de la formation continue, via des pratiques non conventionnelles. Sa Mission Interministérielle de VIgilance et de LUtte contre les DErives Sectaires (MIVILUDES) a fait son chemin et continue d’exercer sa vigilance "plus nécessaire que jamais".
On accepte de s’habituer à des situations qui dépassent le simple bon sens, on les consacre en les banalisant via les media et par le verbe en toute inconséquence, et… Où va-t-on ? C’est l’heure de LA mobilisation générale, l’engagement très volontaire de la ville de Bordeaux aux côté des acteurs légaux, des professionnels et citoyens au mental pas encore assoupi, palliant au mieux un moindre engagement national malgré un phénomène mondial en plein essor : Les dérives thérapeutiques ouvrant la voie aux dérives sectaires. Pour dénoncer et contrer ce qui doit l’être, au nom de nos valeurs républicaines, non pas en se livrant à une chasse aux sorcières aveugle, mais avec tout le discernement auquel "l’héritage de nos grands sages" nous prédestine, ici à Bordeaux, mentionne monsieur le Maire. Pour nous protéger, tous. Face à des dangers certains.

Sous le signe de la santé…
… Sera donc cette campagne. Et pour cause : "Nous savons que les dérives thérapeutiques font le lit des dérives sectaires" pose d’emblée dans son discours le responsable de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, Marik Fetouh.
Fabien Robert, Maire-Adjoint du quartier StMichel, Nansouty, St Genès, ne le contredira pas. Il nous rapporte qu’un "Centre de bien-être" inquiétant a pignon sur rue sur une place très fréquentée de son quartier. Eté studieux, il a mandaté une habitante volontaire et apte à tester les activités proposées, et obtenu trois rapports détaillés. Au final, un véritable "Temple de l’arnaque" se dévoile lors de cette enquête, certains thérapeutes se recommandent littéralement de personnages parfaitement identifiés et dont les pratiques ont donné lieu à des condamnations antérieures pour dérives sectaires, comme par exemple Peggy Dubro (Enfants "indigo"). Bien vu ! Mais…
Maître Daniel Picotin a ouvert le débat énergiquement. Président de Info-sectes Aquitaine, spécialiste engagé de longue date dans la lutte, il déplore le vide juridique : Quand Fabien Robert, sur le ton de l’ironie, rassure Alain Juppé puisque le centre en question dispose d’une "coiffeuse énergéticienne", qui fait vibrer le rasoir au point de remettre d’aplomb grâce aux vibrations tout votre organisme en assurant un meilleur volume capillaire, effectivement on rit de bon cœur, mais beaucoup moins quand on connaît le tarif, et la probabilité d’être redirigé ensuite vers des pseudo-thérapies aux conséquences plus graves, et pas que pour le porte-monnaie… Et rien n’est illégal à ce stade ! Alors accepterons-nous l’invitation de Maître Daniel Picotin : " Aidez-nous à renverser la table !" ? "C’est inconcevable qu’on supporte en 2013 des faux thérapeutes (…) de se trouver sous emprise mentale !" tonne-t-il ! Et il n’a pas qu’un peu raison… Parce qu’il faut qu’on en sorte, mais ce n’est pas simple.

Les autres, mais pas moi…
C’est ce que l’on croît, tous, et en toute bonne foi… La manipulation mentale, on pense toujours qu’il faut être un peu couillon pour s’y laisser prendre, en état de faiblesse manifeste, un simple accident au mauvais moment, et d’ailleurs nul ne sait d’avance comment ça marche au fond. La fameuse mauvaise rencontre, certes. Et quand bien même l’opinion reconnaît qu’il y a une victime dans l’affaire, elle sera toujours regardée par le néophyte, entendre qui n’a pas déjà été abusé, comme quelqu’un d’un peu défectueux… " Le pauvre…", avouons-le en écho à tout le bien que ça nous fait de nous sentir "mieux loti", comme moins "incomplet"… Finissons-en avec cette première idée reçue : La raison, l’intelligence aussi grande soit-elle, n’offrent pas à elles seules une résistance suffisante face aux techniques de manipulation abouties, qui sollicitent l’ensemble de nos perceptions, émotions, et s’appuient sur la moindre de nos faiblesses… Dont nous ne sommes pas toujours pleinement conscients, c’est là le hic. "Connais-toi toi-même", hélas, si par chance la victime découvre, mesure où sont ses failles, il est en général trop tard. Le piège est multiforme, peu palpable, et s’adapte à chacun de nous comme du sur-mesure, surtout ces dernières années où l’on assiste à un émiettement des organisations à caractère sectaire, qui sont de plus liées entre elles dans ce paysage savamment flouté. D’où la grande difficulté à décrire, expliquer, formaliser des outils de prévention universels et suffisamment simples pour être pleinement efficaces.
Il faut saluer la qualité de précision des documents de cette campagne de prévention, qui seront largement diffusés, mais ne perdons pas de vue qu’à la base, rien ne "prépare" le pékin moyen à reconnaître et affronter ce type de péril.
En effet, penchons-nous sur le principe des croyances. Il n’est pas question d’être jugeant, mais critique. De tout temps, une certaine "magie des choses" a séduit l’humain, il a cette petite part d’espérance en lui, la providence, particulièrement renforcée en cas de maladie grave… Qu’on le veuille ou non, notre éducation, et fort heureusement, implique le plus souvent la capacité à la confiance, à la "foi", et pourquoi pas à l’optimisme. Pourvu qu’on puisse se raccrocher à quelque chose en cas de coup dur… En tant que parents, on n’est pas toujours enclins à donner libre cours à l’esprit critique au quotidien, fort peu commode quand l’organisation générale doit être huilée et en un temps record. On argumente maladroitement, de façon culpabilisante pour qui sort du rang, au final chacun se plie à la nécessité d’un certain esprit de corps en famille, mécaniquement frustrant pour l’individu. Du pain béni pour qui veut appuyer où ça fait mal de façon à isoler sa proie, rien n’est plus simple avec les jeunes en devenir, ou les seniors en mal d’épanouissement personnel…. Un nouveau pacte au départ plus séduisant, qui dérivera ensuite vers une prison mentale bien gardée au nom… De nos principes fondateurs de confiance, foi, loyauté etc… ! Un tour de passe-passe adroit, la victime est tellement déstabilisée, privée de ses fondations aussi imparfaites soient-elles, qu’elle n’y voit que du feu, et même si au fond elle sent bien qu’il y a un truc qui "cloche", rapidement la mise en mouvement retour n’est plus possible, cela devient une question de cohérence. Finalement, nous avons tous à bien y regarder quelques prédispositions pour nous faire épingler… Il faudra donc des initiatives de terrain, sans doute innovantes, pour appuyer et compléter les efforts de prévention, sans pour autant tomber dans la paranoïa bien entendue décriée par ces nouveaux prometteurs de jours meilleurs.
Ceci étant posé, revenons au discours de Marik Fetouh qui est fort utilement concis, et nous amène à considérer les choses au-delà de la partie visible de l’iceberg.

Quand Docteur devient Knock…
Et oui, le premier piégé, c’est parfois le professionnel de santé lui-même, il est important de le souligner. Face à l’approche empirique certifiée par des formateurs actifs et convaincants qui parlent à l’Homme, le Code de Déontologie finit par passer à la trappe ! "L’effet placebo fonctionne parfaitement, alors en toute bonne foi le professionnel est convaincu de l’efficacité", et se fait le porte-parole zélé de croyances aromatisées à des rites plus ou moins fumeux, qui empruntent souvent à d’autres croyances, à des savoir ancestraux et si possible exotiques. N’oubliez pas ceci : "plus c’est gros, plus ça passe", car c’est un fait récurrent. L’Académie de médecine est extrêmement vigilante quant à l’efficacité des pratiques non conventionnelles, en revanche les approches validées par la formation continue ne le sont pas en connaissance de cause faute de moyens adaptés, d’où les nombreuses dérives, et un marché devenu florissant, dont il n’est pas simple non plus de se départir sur le plan économique… Voilà le cercle vicieux bien installé.
Face à ce constat, il est bon de se souvenir du passé… La mémé Moga, dans les landes jadis si pauvres, était la "sorcière" du village de Castets. Je vous parle de l’arrière grand-mère d’un monsieur âgé aujourd’hui de 80 ans et qui aurait un don pour "couper le feu", entendre soigner les brûlures, et il le fait gratuitement, pour lui cela va de soi. A cette époque, les gens qui n’avaient pas les moyens d’accéder à la médecine allaient voir cette femme pour se faire soigner avec les moyens et pratiques du bord. Elle était pauvre, c’était gratuit car normal de soulager autrui, elle est morte tout aussi pauvre, il n’était pas question de s’enrichir par le biais d’un éventuel don. Ce qu’on appelait le travail, c’était autre chose. La mémé Duluc à Gujan, dans les années 70, tous les gars du rugby la connaissaient, elle en a remis sur pieds plus d’un… Sans jamais exiger le moindre denier ! Il est évident que le désir croissant de consommer tout et de suite, impulsé par les belles années du marketing et couplé à la crise actuelle favorise la tentation de soulager les patients "aussi" de leurs deniers… Et de plus en plus souvent hélas davantage que de leurs maux ! Les rapports concernant le centre du quartier St Michel, Nansouty, St Genes sont sans équivoque : A la manière d’une gestion de marque très pro, sous l’ombrelle du Centre, l’offre est riche et segmentée, parfaitement collaborative, et on envisage de créer du lien avec le consommateur lors d’une séance de "prise en charge" à l’entrée pour définir un parcours sur mesure, qui le mène d’une thérapie à l’autre, de l’apparemment inoffensif et construit pour le client placé ainsi au cœur d’une expérience unique, bien à lui, lui au centre de tout, à une véritable arnaque au long cours parfaitement organisée. On est bien loin de la bienveillance originelle… Ainsi dérivent plus ou moins gravement les uns, véritables professionnels de santé ou professionnels improvisés après avoir suivi des formations dont la très courte durée devrait pourtant interpeler quand il s’agit de santé… Tandis que bloguent les autres !

A nom du moi ?
Le gourou, le vrai, tout court genre Moon, c’est une chose, et on voit tous à peu près ce que c’est. Entre la toge new Age et l’encens qui enfume au propre et au figuré, on a déjà donné. Ca, c’était avant, et encore… Mais que penser de cet exhibitionnisme numérique qui gagne "aussi" la médecine conventionnelle ? A plus forte raison quand on lit le témoignage d’un patient qui précise en parlant de son toubib internaute à cœur ouvert qu’il est "devenu indispensable" ! Au nom de notre humanité commune, attirons l’œil sur nos états d’âme, tous à poil… C’est dans l’air du temps le grand partage. Peut-on, comme dans tout autre domaine marchand, se fabriquer une vitrine de star émouvante, en appelant donc à l’émotion de l’autre, est-ce bien le lieu et le moment, un professionnel de santé a-t-il vocation à se placer ainsi au centre ? Est-il indispensable de diffuser quand on écrit, si l’on souhaite simplement "évacuer" ? Quel impact sur la relation au patient ? La facilité avec laquelle l’emprise à ces conditions médiatisées peut s’installer interpelle, non ? Nouvelle forme d’inconséquence, stratégie déguisée de fidélisation ? Alors à qui la faute ? Je vous laisse considérer ces questions en attendant de vous retrouver pour la suite, car vous avez été prévenu, ce n’est pas simple !

Ecrit par Sandrine Daniel


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