Bordeaux
Le mythe du loup-garou traverse l’histoire de France depuis le Moyen Âge. Profondément ancré dans l’imaginaire collectif, il incarne les peurs rurales face à la nature sauvage et aux dangers nocturnes. Entre le XVIe et le XVIIe siècle, l’Europe connaît une vague de procès en sorcellerie et en lycanthropie, marquée par des accusations effrayantes de métamorphoses et de meurtres rituels.
Dans ce contexte, Jean Grenier, un adolescent de 13 ou 14 ans originaire d’Aquitaine, est jugé à Bordeaux en 1603 pour des crimes d’une barbarie inouïe. Son procès s’inscrit dans une période de grande agitation où la croyance en la lycanthropie est considérée comme une réalité et où la justice se montre implacable envers les présumés loups-garous.
Une affaire terrifiante : accusations et arrestation
Les faits reprochés à Jean Grenier sont glaçants. En mai 1603, le procureur d’office de La Roche-Chalais informe le juge local que plusieurs enfants ont été blessés, tués ou même dévorés par des "malebestes". Une jeune fille de 13 ans, Marguerite Poirier, affirme avoir été attaquée par une créature ressemblant à un loup.
L’enquête conduit à Jean Grenier, un serviteur de Pierre Combaut, qui avoue rapidement ses actes. Il se vante d’avoir agressé la jeune fille et dévoré plusieurs enfants sous sa forme de loup. Selon ses propres déclarations, il aurait reçu une peau de loup et un onguent magique d’un homme en noir, ce qui lui aurait permis de se transformer en loup pour chasser la nuit.
Jean Grenier prétend qu’il chasse en compagnie de huit ou neuf autres individus, notamment lors des nuits de nouvelle lune. Il parle aussi de festins macabres en forêt, où des participants comme Pierre Labourant se réunissent pour des rituels inquiétants.
Arrêté et placé en détention, il est confronté à des témoins qui le décrivent comme un jeune homme au comportement troublant, souvent vu errant seul et tenant des propos incohérents.
Le procès : entre justice et croyances populaires
Le procès de Jean Grenier se déroule devant le parlement de Bordeaux, une juridiction importante du royaume de France. À cette époque, la justice s’appuie largement sur les croyances religieuses et les superstitions populaires.
Les témoignages d’habitants et de survivants dressent un portrait effrayant du jeune homme. Pourtant, les juges, influencés par l’approche plus rationnelle de certains intellectuels de la Renaissance, ne voient pas en lui un sorcier mais plutôt un individu mentalement dérangé.
Le verdict tombe : plutôt que la condamnation à mort habituellement réservée aux hérétiques et aux sorciers, Jean Grenier est reconnu comme souffrant d’une aliénation mentale. Il est condamné à un enfermement à perpétuité dans un monastère de Bordeaux.
Un reflet des peurs collectives de l’époque
Cette affaire illustre les profondes superstitions qui marquaient la société bordelaise du XVIIe siècle. Le loup-garou, figure de l’homme bestial, servait souvent à expliquer des phénomènes inexpliqués comme la disparition d’enfants.
Jean Grenier n’est pas un cas isolé. En France et en Europe, d’autres procès de loups-garous ont eu lieu, notamment celui de Gilles Garnier en 1573 à Dole, qui fut brûlé vif pour des crimes similaires. Ces affaires révèlent à quel point la peur collective pouvait mener à des jugements radicaux.
Dans le folklore bordelais, Jean Grenier reste une figure du mal primal, un rappel des temps où la frontière entre réalité et croyance était bien plus floue qu’aujourd’hui.
La fin tragique de Jean Grenier
Sept ans après son enfermement, l’inquisiteur Pierre de Lancre rend visite à Jean Grenier dans son monastère. Il le trouve dans un état pitoyable : squelettique, les yeux enfoncés, les mains ressemblant à des serres et les dents longues et pointues. Grenier se déplace à quatre pattes et imite le comportement des loups, refusant de s’alimenter normalement. Il préfère dévorer des immondices et semble totalement coupé de la réalité humaine. Il meurt un an après cette visite, probablement de malnutrition et de négligence.
Un héritage historique fascinant
L’affaire Jean Grenier apporte un éclairage unique sur l’histoire de Bordeaux et de ses procès en sorcellerie. Elle montre aussi l’évolution des mentalités : à une époque où d’autres auraient été brûlés sur le bûcher, la justice bordelaise opta pour un traitement psychiatrique avant l’heure.
Cette affaire pose une question essentielle : comment ces croyances ont-elles influencé la perception de la justice à travers les siècles ? Et aujourd’hui, face à certaines peurs contemporaines, ne sommes-nous pas encore enclins à chercher des monstres là où il n’y en a pas ?

Ecrit par Jean-Sébastien Dufourg
Créateur du site Bordeaux Gazette et Président de l’association.
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