Difficile lorsqu’on voyage entre Toulouse, Albi, Béziers, et Carcassonne de ne pas être interpellé par le caractère singulier à de multiples égards de ce magnifique pays d’Oc, siège il y a quelques siècles de l’épanouissement d’une civilisation originale mais aussi d’une lutte à mort entre deux civilisations : celle du Nord et celle du Sud de la France, sur fond de querelles spirituelles mais aussi politiques et sociales.
Un peu d’une histoire souvent mal connue …
A cette époque (12ème et 13ème siècle) deux civilisations bien différentes existent de part et d’autre de la Loire : au nord une féodalité très forte, une bourgeoisie encore très faible et une église catholique toute puissante ; au Sud, en Occitanie, c’est l’inverse avec une bourgeoisie puissante et une féodalité très affaiblie.
La langue parlée en pays d’Oc n’est pas la même que celle parlée en pays d’Oil : ainsi à Montségur, les assiégés appellent leurs ennemis les « français », persuadés qu’ils sont d’appartenir à une autre nation, à une autre civilisation. La langue française que nous parlons aujourd’hui ne nous est d’ailleurs commune que depuis un peu plus de 7 siècles.
Beaucoup plus qu’une simple hérésie, le Catharisme procède d’une conception du monde, d’une démarche intellectuelle et spirituelle complètement opposées à celles du christianisme traditionnel. Certains commentateurs et spécialistes allant jusqu’à prétendre que la chute du Catharisme représente la destruction d’une culture et d’un mode de vie qui auraient vraisemblablement engendré plus tard une nation aussi différente de la France du Nord que le sont l’Espagne et l’Italie.
Une religion à part entière
La construction d’un Catharisme mythologique et divers autres commentaires ont été à la base de quelques contre-vérités : Les Cathares ne se sont jamais qualifiés eux-mêmes de « parfaits » mais de « bons hommes » et de « bons chrétiens », ils furent en fait qualifiés de parfaits par les inquisiteurs (hereticus perfectus). Le catharisme ne s’est pas limité à l’Occitanie, il affecta toute l’Europe.
Dans presque toutes les familles seigneuriales de cette époque on comptait au moins un hérétique. Le catharisme se répandit dans toutes les couches de la société et constitua une religion à part entière avec sa métaphysique, son ecclésiologie, ses rites et sacrements, son message de révélation et de salut, sa morale et ses écritures saintes.
Même si l’égalité des sexes au Moyen-Age est restée plus mythique que réelle, il n’en est pas moins vrai que le catharisme a favorisé dans la vie religieuse, dans le mariage et dans les mœurs, les tendances égalitaires et libératrices qui commençaient à se manifester chez les femmes, notamment dans la classe aristocratique.
L’épisode tragique du Sac de Béziers (Immense tuerie et destruction de la ville) où selon le Cistercien Césaire de Heisterbach, le légat Arnaud Amaury aurait prononcé la fameuse phrase : « Tuez les tous, Dieu reconnaitra les siens » prouve bien que les troupes du Nord ne s’embarrassèrent pas de faire la distinction entre catholiques et hérétiques, alors que catholiques et cathares occitans luttèrent côte à côte face aux « Croisés ».
Leur vision de la « Création »
Alors que le clergé régulier s’enferme dans de prestigieuses abbayes, le peuple chrétien est traversé de remous dans la recherche d’un retour aux idéaux évangéliques. Non violents absolus, refusant mensonge et serment, les « bons chrétiens » se manifestèrent aux populations chrétiennes comme des prédicateurs de la parole de Dieu, itinérants et pauvres.
Les Cathares posaient le principe de deux créations et de deux créateurs, le « parfait » cathare se caractérisait par sa conscience de ne pas appartenir au monde satanique et par sa ferme volonté de se retrancher de lui. C’est dans l’Evangile de Jean que la phrase du Christ : « Mon royaume n’est pas de ce monde » se révèle être pour les Cathares, l’attestation par le Christ que ce monde est mauvais. Pour eux, l’opération satanique avait consisté à séparer les âmes de leurs esprits, en les enfermant dans des corps matériels et sataniques.
Le Consolamentum
Selon eux, le baptême par imposition des mains (Consolamentum), tel celui donné par Jésus, est le seul vrai baptême, il devait être reçu volontairement. Baptême par l’esprit qui consacre l’appartenance au monde de Dieu. Au sens paléo-chrétien, l’Eglise Cathare était la communauté des baptisés de l’Esprit, « des revêtus de l’Esprit », qui avaient ainsi le droit de transmettre à leur tour. Au niveau de la vie courante, les « bons chrétiens » ne se contentaient pas de prêcher et d’expliquer leurs idées, leur action visait à modifier profondément les structures de la société, condamnant toute société reposant sur la subordination forcée d’un homme à un autre.
Anéanti à la suite d’une guerre de près d’un demi-siècle et d’une chasse à l’homme qui devait durer plus de cent ans, le catharisme, à l’origine d’un regard nouveau sur la société, fut quoi qu’on en dise tout sauf une religion simpliste et puérile et son épopée funeste, une immense tragédie.
Ecrit par Dominique Mirassou