Le Crime de la Pizzéria

Le Crime de la Pizzéria : Chapitre XII

CHAPITRE 12 : Dylan passe à table.

« Ce soir-là, j’étais de passage à Bordeaux. Je venais d’assisté à une conférence : « Médicaments pour l’hypertension et chutes de pression : que faire ? » qui m’avait profondément ennuyé. Je traînais ma solitude partout où j’allais. Depuis que ma sœur jumelle avait disparu, plus rien n’était pareil, mon travail m’emmerdait, mon meilleur ami était parti vivre au Canada, même mes liaisons finissaient par me lasser.

Il était 20 heures, j’avais un peu faim alors je suis entré dans la première pizzéria que j’ai trouvée et je me suis assis devant une table, à l’entrée, un peu à l’écart. À peine installé, j’ai vu un homme que je reconnus aussitôt. Malgré les années, Tino n’avait pas changé, un peu plus voûté peut-être et la mine un peu plus grisâtre, mais c’était bien le même. Lui aussi s’était assis à une table un peu en retrait. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais j’ai eu envie d’aller le saluer. Ce n’est pas qu’il y eut quelques affinités entre ce type et moi, mais cela me procurait à l’avance un bain de nostalgie ; de ce temps où ma sœur était encore là.

Je l’ai abordé :

- Et dis donc ! c’est bien toi ?

Tino me vit et visiblement, il se força à sourire.

- Et salut ! Qu’est-ce que tu fais ici ? Il y a longtemps ! moi là, j’attends une nana.

Je constatais qu’il avait devant lui une énorme pizza, ce qui me fit dire que son rencard était sans doute un mensonge. Ces dernières paroles m’amusèrent, autrefois, Tino n’était pas le champion des rencontres amoureuses. Je crois même qu’il en pinçait pour ma sœur, mais elle, elle n’en avait rien à faire.

- C’est super ça !

- Elle m’a appelé, elle va avoir du retard, assied toi !

- Merci, on commande un apéro, un punch comme avant !

- Non merci, je ne bois jamais, mais je sais que toi par contre tu y allais au pichet ! cela n’a pas changé je vois !

Sa réflexion m’agaça un peu. Ce n’était pas vrai, je n’ai jamais abusé de la boisson depuis mes dix-huit ans où le dernier excès d’alcool m’avait rendu si malade que depuis je n’y touchais que de très loin.

- Dis donc, tu as un peu vieilli, tu te teins les cheveux ?

Là encore, la petite phrase fielleuse énoncée sur le ton de l’innocence de la part de

Tino m’étonna.

- Et oui, le temps ne nous épargne pas.

J’étais nostalgique et je commençais à évoquer le passé.

- Tu te souviens des copains, tu as des nouvelles ?

- Le club ? Non, il faut dire que depuis le suicide de ta sœur, ils n’étaient pas très fiers d’eux alors, chacun est parti de son côté.

- Comment ça pas fiers ?

- Et oui, notre petite blague n’a pas arrangé sa santé.

- De qui, de ma sœur ?

- Oui, il faut dire qu’on ne savait pas qu’elle était si fragile sinon, on n’aurait pas fait ça.

- Fait quoi ?

- La blague. C’est vrai, tu ne sais pas. Personne n’a osé t’en parler à l’époque.

Aujourd’hui l’eau a coulé sous les ponts. En fait la veille du soir, je veux dire plutôt la nuit, où on a dû l’interner, on avait préparé une petite blague. On s’était tous déguisés. Tu aurais vu ça, mais c’est vrai, c’est que tu étais en voyage, toujours par monts et par vaux, tu avais la bougeotte. C’est sûr que si tu avais été là, tu nous aurais dit de ne pas le faire.

- Mais quoi ?

Je commençais à m’énerver sérieusement.

- Et bien, on s’est donné rendez-vous chez elle, tous déguisés en monstre. Figure-toi, coup de bol, c’était la pleine lune. On est passés par le jardin et on est rentrés dans sa chambre. Elle ne fermait jamais la baie vitrée donnant sur le jardin. C’était une folie, mais ta sœur était une romantique qui ne voyait jamais le mal nulle part. Donc, nous voilà tous grimés de manière très réaliste, j’en ai encore la chair de poule, dans la chambre, à minuit par-là, en train de hurler à la mort. Loups-garous, monstres et compagnie, du faux sang dans la gueule, quelle rigolade ! enfin, jusqu’à ce qu’on se rende compte de l’effet désastreux sur Barbara. Elle s’est mise à hurler horriblement. Du coup on est sortis comme on était rentré.

Il y eut un silence. J’étais sidéré. Ce salaud en plus d’avouer l’immonde saloperie qui avait conduit ma sœur au suicide, essayait de me culpabiliser. La responsabilité, je l’assumais depuis longtemps, c’est vrai, mon absence n’avait pas arrangé les choses, j’aurais pu la rassurer, la consoler. Mais à l’époque, je préférais courir le monde.
Tino me regardait, il semblait se délecter de l’effet produit sur moi. Je le sentais nourri, abreuvé par ce chagrin qu’il voyait monter dans mon visage. Il n’a même pas pu s’empêcher de sourire !

J’étais désespéré et en rage. J’ai failli me jeter sur lui et l’étrangler sur place. Et puis j’ai pensé à tous les autres, tous ces salauds qui avaient participé à ce monstrueux carnaval. Il fallait qu’ils payent ! Je savais où je les trouverai. Internet n’offre pas de secrets à qui sait s’en servir ! et tout à coup, j’ai eu une idée, le destin me venait en aide. Ça allait être à mon tour de me délecter de sa souffrance.

- Tiens j’ai ramené ça de mon dernier forum, regardes c’est une beauté !

Durant mon séminaire, je m’étais fait un cadeau dans une des boutiques. Un superbe poignard au manche en ivoire.

- Regarde, il y a un papillon gravé sur la lame !

Ecrit par Marie-Laure Bousquet

Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk


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