Qui a tué Pollux ?
Sissi est témoin d’un crime au bord d’une piscine, mais ...
Pas si zen que ça, les congés... !
Notre résidence de vacances était charmante ; une immense bâtisse, des chambres confortables avec salles de bain carrelées de marbre du sol au plafond.
Le programme ; le matin, petite séance de Yoga avec Paula, ensuite deux heures de musique zen. Baignade à volonté, nourriture végétarienne et bio. Un peu de snorkeling pour les sportifs ou bien de pédalo pour les paresseux. Promenade possible vers Cadaquès pour visiter la maison de Dali et pour les intrépides qui n’ont pas peur de faire de la route, Barcelone pour admirer, entre autres, la magnifique et dégoulinante Sagrada Familia de Gaudi.
Sur place, nous nous retrouvions dans une grande pièce centrale entre cuisine, escalier menant aux étages et visions de carte postale de la mer avec ses couleurs mouvantes allant du bleu argenté au vert profond.
Sur trois murs, une succession de gongs plus ou moins immenses. Notre Hôte Pollux, le défunt à présent, jouait pour notre plus grand plaisir, accompagné par Mélinda, étrange prêtresse toute vêtue de blanc, de longs cheveux très noirs encadrant un pâle visage mangé par de vastes yeux brun clair. Allongés sur de gros coussins, les participants de ce séjour « soleil et musique zen » recevaient la musique céleste dans une demi-transe tant les sons étranges remuaient les tripes et l’âme.
Nos hôtes parlaient un français presque sans accent puisqu’ils avaient appris notre belle langue avec des natifs de Narbonne. Leurs talents ne se cantonnaient pas à taper comme des fous sur les gongs, ils savaient aussi jouer de multiples instruments plus ou moins exotiques et Mélinda bénéficiait d’une très belle voix de sirène.
Notre groupe était principalement constitué de femmes en dehors de Tommy. La quarantaine bien entretenue, petit, le cheveu rare et gris, apparemment seul et donc plutôt content de l’être. Celui-ci, un peu à l’écart, ne parlait pas beaucoup et, même si vous aviez envie de communiquer avec lui, la discussion tournait court, personne n’aurait su dire pourquoi, mais un silence s’installait très vite.
J’avais bien sympathisé avec Carmen, vingt-huit ans, Belge de son état, venue ici pour se réchauffer ses « pauvres os », comme elle me l’expliqua, car son quotidien de secrétaire du bourgmestre de Charleroi s’avérait trépidant et surtout éreintant. C’est un point de vue étonnant, mais respectable. Elle avait laissé son mari à la maison en effet, à ce que j’ai cru comprendre, il n’appréciait pas trop ce genre de séjours farniente et baba cool.
Lia, la malchanceuse qui avait découvert Pollux en train de passer l’arme à gauche, ne travaillait plus depuis trois ans. Rentière et retraitée de l’armée ; ses petites économies, patiemment amassées à la manière d’un écureuil prévoyant, lui avaient permis de devenir la propriétaire d’un cheval de course « Ferdinand du romarin ».
Celui-ci s’avéra être une véritable formule1 des champs de courses, évidemment en plus joli et beaucoup moins polluant. Gagnant à tous les coups ou presque, les sommes récoltées lui avaient servi à investir dans l’achat de plusieurs appartements, puis d’immeubles et enfin dans des entreprises. À cinquante-six ans, elle ne se souciait plus que de son bien-être personnel ; ses enfants étant à présent des adultes et ses maris successifs, des fantômes de son passé, elle goûtait la joie de ne faire uniquement que ce qu’elle avait envie de faire sans compter.
Jusqu’à ce fatal jeudi, les journées s’étaient écoulées tranquilles et sereines. À table,
Pollux, notre artiste très boute-en-train, nous régalait de blagues et de bons mots. Certains soirs même, nous chantions en cœur des mélodies aux textes parfois très lestes, mais très joyeux. Donc, le séjour se déroulait dans une ambiance agréable qui n’augurait pas une fin aussi funeste. Il restait encore huit jours de prévus et l’avenir de nos vacances s’en voyait soudain compromis.
Mais revenons à nos moutons, comme on dit dans le monde rural, j’en étais restée au moment où Paula notre logeuse et prof de yoga s’était précipitée sur notre pauvre Pollux agonisant au bord de la piscine, repoussant la pauvre Lia quelque peu sidérée. Wendy surgit de l’eau. La température moins que tiède ne l’avait pas découragée. Sa silhouette sculpturale d’Anita Ekeberg, sa blondeur nordique passèrent inaperçues, tant l’attention était focalisée sur le mort. Elle aussi fut repoussée vers notre groupe que retenait à distance notre chanteuse Miranda, apparue tout d’un coup d’on ne sait où. Elle paraissait très calme, pourtant j’avais cru jusqu’ici qu’elle était la compagne de Pollux.
Wendy, la belle blonde surgissant des flots, comme elle nous l’expliqua le deuxième jour au moment du goûter, moment assez favorable aux confidences, était avant le mois de janvier un homme, un dénommé William.
Une opération qu’elle attendait depuis longtemps l’avait enfin libéré de sa condition inconfortable de femme dans un corps de garçon. Ancienne inspecteur des impôts, elle avait tout quitté. Une autre opération, cette fois financière, et lucrative, lui avait permis de sauter le pas et de s’offrir une toute nouvelle vie. Elle gardait de ce changement radical une voix au grain velouté et un peu grave.
Miranda, saisie d’une brusque énergie bien inattendue de sa part, nous poussa, nous rassemblant dans un cri pour nous refouler vers le portail où nous attendait un fourgon. Elle nous expliqua rapidement qu’il ne fallait pas rester là, qu’une procédure d’urgence était prévue en cas de problème qu’il s’agissait peut-être d’un attentat terroriste.
Je pensais aux autres résidents restés là-bas dans la maison, mais je suivis le mouvement et, la porte fut refermée par Miranda qui repartit sans doute pour aller les chercher.
Un jus de fruit nous fut servi.
À peine assise, je m’endormis aussitôt.

Ecrit par Marie-Laure Bousquet
Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk
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