Le Crime de la Pizzéria
Tino que personne n’appréciait beaucoup a été retrouvé assassiné le nez dans sa pizza quatre fromages.
CHAPITRE 5 : Des papillons, des papillons, des papillons !
Le lépidoptère américain, c’était un papillon Monarque, c’est ce qu’apprit Léo en compulsant son téléphone qui obligeamment lui donna tous les renseignements possibles sur l’animal épinglé dans la boite. Il ne se sentit pas plus avancé, mais par contre, beaucoup plus intrigué. Il croyait s’y connaître un peu plus en papillon depuis la visite qu’il avait faite il y avait de cela quelques années au paradis des papillons de Sanguinet, il avait alors quatorze ans. À l’époque, la visite commentée par un spécialiste l’avait alors enchanté. Il ne se souvenait pas de grand-chose, mais il savait que l’existence de ces insectes qui se prennent pour des oiseaux, est brève et que si par chance, ils achèvent leur vie sur le cadavre d’un fruit, l’alcool du sucre leur monte à la tête et ils meurent dans l’ivresse. Cette idée produisit une image étrange, il se vit lui-même agonisant à la surface d’une baignoire géante remplie de whisky. Adepte convaincu du sport et de vie saine, il chassa ce cauchemar avec dégoût. Il songea alors que le petit animal était bien loin de son pays natal.
Tino, amateur de papillons ! cela conférait à la victime une nouvelle dimension inattendue. Il devenait tout à coup plus sympathique, ce qui n’était pas difficile étant donné toute la haine qu’il engendrait autour de lui. La visite de la maison allait s’achever ainsi quand son regard fut attiré par un cadre sur un mur. Une photo de groupe, des jeunes gens parmi lesquels Léo reconnut un Tino bien plus jeune au centre. Ils se tenaient tous par les épaules visiblement déguisées en papillon avec de grandes ailes et des antennes ridicules sur la tête. Tous hilares y compris le triste sire Tino qui apparemment ne l’avait pas toujours été. Il avait donc eu des amis ! Ils étaient six, trois filles et trois gars. Le rapprochement entre le papillon dans la boite et le déguisement des gens sur la photo se fit instantanément dans son esprit bien sûr, mais surtout, il pensa que la mystérieuse commanditaire de l’enquête était probablement sur la photo. Le lien était évident et il songea qu’il allait creuser du côté de ces jeunes gens. Il décrocha le cadre, en sortit la photo et la retourna. Au dos, le nom des six participants : Bella, Ysengrin, Tino, Kitty, Philo et Dakota. Léo rentra chez lui en bicyclette, manquant par deux fois de se faire renverser. Arrivé sain et sauf à la maison, il se mit à dessiner les indices qu’il avait trouvés. Une boite étrange, un papillon monarque épinglé et une photo. Un contour nouveau se dessinait autour de la victime qui semblait avoir eu une jeunesse plus riante que sa fin prématurée.
Tino était une bien étrange victime. Assassinée de plusieurs coups de couteau, dans une pizzéria bordelaise qui d’ailleurs, avait depuis agrandi sa clientèle attirée sans doute par cette énigme sordide, était détesté par la plupart des gens son entourage. Mais voilà qu’une photo révélait un passé plus heureux.
Qui étaient les amis de Tino ? Il devait bien tenir à eux puisqu’il avait gardé la photo qui les représentait joyeux et unis. Autant la vie de la victime semblait morne avec ce penchant malsain pour le plaisir d’ennuyer son prochain, autant cette image détonnait avec le caractère désagréable de Tino. Les papillons représentaient la seule piste qu’il avait pour le moment, car bizarrement tous les suspects, tous ceux qui le détestaient avaient des alibis solides.
Il fallait retrouver les anciens amis de Tino. Sur un moteur de recherche il tapa lépidoptère, groupe d’amis Bella, Ysengrin, Kitty, Philo et Dakota. Apparemment, c’est Tino qui avait noté les prénoms au dos de la photo. Devant le manque de réponses, Léo comprit que Tino avait donné des surnoms à ses amis. Contemplant à nouveau le cliché, il pensa soudain qu’il avait probablement reçu la photo de l’arme qui avait occis la victime. Sur sa messagerie, il constata qu’il avait bien un message de Jérôme, son copain légiste. Il remarqua aussitôt le dessin sur le manche. Un papillon minuscule s’y trouvait fort joliment gravé !
Hé ho, tu travailles encore ? Tu veux manger à quelle heure ? Moi j’ai mangé un sandwich jambon, des chips et voilà. J’attends que tu me racontes avant que je ne couche sur le papier le récit de tes aventures que je dévore et que j’offre à ton public affamé !
Léo se retourna et vit dans l’encadrement de la porte, Sissi sur son fauteuil roulant.
A te voilà, mon littéraptor, OK rien de neuf sinon, que je cherche qui étaient les amis de Tino. Tout à l’heure je mangerai de la soupe s’il en reste.
Il y a aussi du poulet. Tu ne me donnes rien de plus ? j’ai fait des recherches moi aussi Ysengrin, c’est le loup, éternel ennemi de Goupil, toujours dupé et ridiculisé.
C’est dans le roman de Renart. Si ton Tino lui a donné ce surnom, c’est qu’il ne l’aimait pas beaucoup. Peut-être se prenait-il pour Goupil.
Elle prit une voix mystérieuse pour déclamer : « Complexe et polymorphe, allant du bon diable, redresseur de torts au démon lubrique, fripon et débauché, il incarne la ruse intelligente liée à l’art de la belle parole. Aussi appelé « le maître des ruses »
Il n’était pas très rusé ni très intelligent d’après ce que j’ai pu comprendre. Tu vas noter tout cela ? dit-il en me voyant griffonner sur mon carnet.
Bien sûr ! tes éclairs de génie, tes hésitations, tes doutes, tes fausses pistes, et même tes boulettes !
Ainsi ma chère sœur, tu es mon docteur Watson !
Oui si tu te prends pour mon Sherlock, sauf que je n’y connais rien en médecine sinon en compléments alimentaires et techniques de yoga. Et que tu ne te drogues pas, enfin je ne crois pas, tu me le dirais ?
Eh oui, je suis bien la narratrice et la sœur de Léo. Non, partageons un bureau immense, il est assez grand et je roule de pièce en pièce en fauteuil roulant. En vérité, je ne suis pas tétraplégique et ce n’est pas par manque de respect pour ceux qui ont vraiment besoin de ce moyen de déplacement, au contraire c’est pour me rapprocher de ma mère adoptive, le seul être sain de ma famille, en dehors de Léo bien sûr ! Quand je me sens un peu déprimée, que je n’aie plus d’inspiration, j’aime m’assoir sur ce qui était son fauteuil, poser sur mes épaules son châle encore un peu parfumé et rouler avec nostalgie dans l’appartement. Cela pourrait paraitre inquiétant, un relent de psychose, une sorte de fille dégénérée de Madame Bates plus ou moins hitchcockienne, mais que non, je ne me prends pas pour Maman ! c’est juste une façon, étrange, je vous l’accorde, de retrouver l’aura de sa tendresse. En fait, son fauteuil me sert surtout devant mon bureau quand je relate les enquêtes de mon Léo.
Celui-ci pour l’heure s’était replongé dans ses recherches.
Au matin, je le retrouvais endormi sur sa table, des miettes, un os de poulet dans une petite assiette, derniers vestiges d’un dîner vite englouti.
Ho hé ! ça va ? Tu as dormi là. Va donc te doucher, tu as de la visite, ton ex a appelé...
Ecrit par Marie-Laure Bousquet
Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk