Le Crime de la Pizzéria
Le Crime de la Pizzéria
Chapitre III : Le sens de la famille
L’enquêteur, Léo de son prénom, travaillait sur l’affaire du meurtre de Tino. Le corps avait été retrouvé dans l’arrière-cour d’une pizzéria bordelaise, je parle de celui du défunt pas celui de Léo qui se portait comme un charme, expression étrange dont j’ignore s’il se rapporte à l’arbre ou bien au sortilège. Après avoir interrogé Monica, la jeune-femme qui devait retrouver sur les lieux ce soir-là, le mort qui ne l’était pas encore. Il avait décidé de s’intéresser à présent à la famille de Tino.
Ses parents adoptifs avaient déménagé depuis longtemps pour la Bretagne. Ils ne s’étaient pas déplacés pour l’enterrement arguant que, de toute façon, il n’y avait plus rien à faire pour ce pauvre Tino. La sœur non plus, alors qu’elle résidait à Talence, ne vint pas aux obsèques qui d’ailleurs en passant furent des plus rapides. Aucun discours, et au four. Les cendres furent données à la voisine de Tino la seule à s’être déplacé et celle-ci dès qu’elle fut chez elle, jeta les cendres dans la terre du ficus. Elle marmonna « pour une fois il fera quelque chose de bien... »
Il ne restait donc dans les parages que cette sœur, qui n’avait pas de lien de sang avec lui puisqu’elle avait été adoptée quelques temps après lui.
Léo se rendit au domicile de Marguerite pour éclaircir ce mystère de l’inimitié fraternelle. C’est le mari, Enrique, qui le reçut. Un homme de petite taille mince et dont la grosse barbe longue, la moustache et le crane un peu dégarni lui firent aussitôt penser à Dostoïevski ou bien à Landru, ce n’était pas très clair dans son esprit.
Marguerite ne portait pas beaucoup ce frère dans son cœur, car celui-ci ne lui avait causé que des soucis durant toute leur jeunesse. Tout petit déjà, Tino aimait bien cafarder quand elle faisait des bêtises, ainsi lui devait-elle pas mal de réprimandes et de vexations. Également, il lui avait dit en plein cœur de leur adolescence, période très difficile surtout pour les parents, qu’il la trouvait très jolie, et que ce surpoids lui allait comme une seconde peau ... il se croyait drôle ! Dès qu’il eut su jouer aux cartes ou à tout autre jeu, il trichait ! Au retour de l’école, il faisait semblant de l’aider pour ces devoirs. Au début, elle s’était laissé prendre. Il lui donnait des réponses erronées sur tous les sujets, l’embrouillant sans arrêt. Les parents adoptifs qui avaient compris assez tôt le pouvoir nuisible de leur rejeton avaient vite reporté toute leur affection sur elle, ce qui n’était sans doute pas une bonne solution, mais quoiqu’il en soit le mal était fait.
Le pire arriva pour les quinze ans de Marguerite. Elle avait eu en cadeau une jolie bicyclette rouge. Alors qu’elle s’entrainait dans la rue en face de leur maison celui-ci fonça sur elle harnaché d’un casque et de patins à roulettes. Il l’a fit tomber si durement que depuis elle boitait.
Bien sûr, à chaque fois, Tino se défendait de l’avoir fait exprès, Marguerite n’était pas dupe, mais cette fois, elle perçut en lui une once de remord, comme si le jeu avait été trop loin, même pour lui. Depuis cet épisode, ils s’évitaient soigneusement. Elle ne lui demandait plus rien et même, si elle le pouvait, elle ne lui adressait plus la parole. Toute cette enfance avait laissé des traces et depuis quelques années elle consultait un psy. Plus d’une fois, elle lui avait parlé de ce frère, demandant s’il avait des pistes pour expliquer ce comportement si destructif, car malgré tout, elle avait un peu honte de le détester à ce point. Le psy avait dit qu’il ne pouvait rien dire sans le connaître.
Toutes ces confidences avaient été faites rapidement par le mari de Marguerite. La sœur entra dans le salon où l’enquêteur était déjà , bien à l’écoute du mari. Grande femme maigre au visage émacié de grosses lunettes sur des yeux bleu pâle, une légère claudication. Elle devait bien avoir dix centimètres de plus que son mari.
Quand elle sut pourquoi il était là, le regard de ses gros yeux se glaça.
Monsieur me demande où nous étions mardi en quinze, le soir tu sais, enfin le soir.
Monsieur bonjour, en effet, nous n’étions pas là. Nous avons passé la soirée au théâtre, aux Salinières, j’ai les billets si vous voulez les voir ?
Je veux bien oui, dites-moi on m’a parlé d’un problème d’héritage.
Marguerite s’était dirigée vers son sac à main pendu dans l’entrée, elle s’arrêta et se retourna.
Qui vous en a parlé ?
Ces billets ?
Ah oui, les voilà ! Oui, c’est notre oncle qui nous a légué sa maison, il faut dire qu’il s’était fâché avec sa sœur, notre mère adoptive.
Elle tira de son sac les billets un peu chiffonnés et les tendit à l’enquêteur.
Ah oui, c’était bien ?
Quoi la pièce ? Super, on a bien ri !
Et cette maison alors ?
Tino a sorti d’un placard un testament dont ne sait où : l’oncle ne donnait la maison qu’à lui ! Je suis sûre que c’était un faux ! Le pire c’est qu’après, il n’y habitait même pas !
Maintenant vous allez hériter de la maison.
Elle resta un moment sans voix.
Je suppose que oui, je n’y avais pas pensé.
Léo la scruta comme s’il pouvait voir au-delà des yeux de la jeune-femme. Il ne vit pas grand-chose.
Hum hum. Bien, je vous remercie.
L’enquêteur regagna son vélo qu’il avait laissé devant la porte. Enrique qui le raccompagnait lui demanda :
C’est un vélo électrique ?
Non, je préfère pédaler et forcer un peu, cela m’aide à réfléchir... Et puis, c’est bon pour la forme !
Vérification faite donc, le couple avait bien assisté au spectacle. Léo se demandait quand il allait trouver un individu qui apprécierait le trépassé. Pourtant, quelqu’un l’avait engagé pour trouver le meurtrier c’est donc qu’il n’était pas détesté par tout le monde !
Ecrit par Marie-Laure Bousquet
Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk