Le Crime de la Pizzéria

Le Crime de la Pizzéria : Chapitre II

Le Crime de la Pizzéria
Chapitre II : Meurtre aux quatre fromages

Chaque matin, Léo choisissait sa tenue vestimentaire d’une manière particulière ; du pantalon au couvre-chef, tout devait être de la même tonalité. Chaque jour, Il distinguait ses vêtements en fonction de la météo et ensuite de l’activité ; le travail, la détente, le sport ou enfin le loisir. À chaque changement de tenue complète, toutes les couleurs étaient possibles, pourvu qu’elles soient bien accordées entre elles. Une œuvre artistique que ce choix qui en fin de compte lui donnait immanquablement une allure élégante et parfaitement originale.

Aujourd’hui c’était le rouge. Ce brun aux yeux sombres portait un pantalon rouge foncé, une parka rouge orangé avec un pull grenat enfin sur sa tête, le bonnet d’hiver rouge à pompon. Il ne se sentait pas du tout ridicule, car le tout était effectivement agencé avec goût et porté avec panache. Personne, après le premier étonnement, n’aurait eu l’audace de lui faire l’affront d’une réflexion mal placée.

Léo interrogeait un par un tous les protagonistes qui tournaient autour de Tino. Le défunt qui se connaissait plus d’ennemis que d’amis, avait trouvé la mort alors qu’il attendait quelqu’un, attablé dans une pizzéria bordelaise dont nous tairons le nom afin de ne pas lui porter préjudice. En effet, la qualité de la cuisine du lieu n’ayant rien à voir avec le décès du susdit Tino. Celui-ci donc, un homme à la quarantaine un peu délabrée, avec bidoche et allure générale plutôt molle, mais propre sur lui, était décédé des suites de la rencontre brutale entre son cœur et la lame effilée d’un couteau. Il avait été découvert le nez dans sa pizza quatre fromages.

Il avait, parait-il, un regard assez intéressant, d’après ce qu’en avait dit Monica sa future fiancée du moment, mais, s’était-elle exclamée, « ils n’avaient encore rien conclu ! ». Ce jour fatidique, celui du décès, ils devaient se retrouver pour savoir justement s’ils allaient poursuivre ou pas cette ébauche de relation.

Cet homme, donc, n’avait pas d’amis, ni de parents très proches, ni mêmes un animal de compagnie. Léo en arrivait presque à le plaindre si le témoignage de Monica ne l’avait convaincu que ce type était insupportable.

Mais pensa-t-il, il devait bien avoir un père et une mère tout du moins ! Et non ! c’était en plus un enfant de l’assistance. Dans son dernier foyer d’accueil, le couple l’avait jeté dehors le jour de ses dix-huit ans. Après enquête, on lui reprochait de semer la zizanie dans le couple qui depuis d’ailleurs avait divorcé.

L’enquêteur ne comprenait pas ce qui pouvait bien pousser ce Tino à se conduire de manière aussi malveillante. Un type qui, après tout, ne devait pas être pire qu’un autre, des emmerdeurs, cela n’est pas rare, et tous ne finissent pas assassinés. En tout cas l’un d’entre eux, un mauvais coucheur, était passé à l’action. Léo pensa au meurtre de l’orient express avec ce collectif d’assassins qui au final était démasqué par Hercule Poirot. Cette Agatha Christie, quel génie !

Il passa en revue les principaux suspects :

La fiancée ? Monica au prénom bien connu par les amateurs de série américaine pouvait passer pour la camarade rêvée, mais a contrario de la cinématographique, la Monica bien réelle française de l’histoire, était plutôt de caractère revêche. Sa biographie : née à Bordeaux, âgée de trente-deux ans, études supérieures écourtées pour cause de « trop dur, trop chiant ! » Des parents partis vivre en Bretagne « parce que l’air y est plus pur, mais tu parles ! c’est des conneries, ils voulaient s’éloigner d’elle ! Débrouille-toi qu’ils avaient dit » Fille unique, il avait fallu effectivement, qu’elle se débrouille. Un travail de secrétaire dans une société d’assurance. Sa collègue Laurence était aussi sympathique que Monica ne l’était pas, elle formait un duo, la gentille secrétaire pour les clients bons payeurs et la méchante pour les autres. Ce rôle ne lui pesait pas. Quand elle rentrait chez elle, elle retrouvait son toutou et cette créature comblait sa solitude.

À la vérité, elle s’était un peu précipitée sur le Tino avec une arrière-pensée. En effet, après une déception sentimentale pénible, elle voulait s’afficher rapidement avec quelqu’un afin de rendre jaloux si possible son ex. Celui-ci l’avait, tel un marin peu scrupuleux, largué comme une vieille péniche au milieu d’une rivière, contre un yacht plus moderne.

C’est ainsi que Léo s’était représenté la mésaventure de la presque (il s’en était fallu de peu !) fiancée quand elle s’était laissé aller à raconter les désillusions qui l’avaient fait échouer un temps dans les bras de Tino.

Elle l’avait rencontré dans le bus. Enfin à la sortie du bus. Elle avait trébuché en descendant trop vite et Tino qui la suivait, avait eu juste le temps de la rattraper au vol. Cet homme l’avait ainsi sauvée d’une chute qui aurait pu être douloureuse, et surtout du ridicule. Il était assez costaud et ses traits plutôt réguliers, ainsi se justifia la jeune femme pour expliquer qu’elle lui ait donné son numéro de téléphone.
Le lendemain, alors qu’elle ne pensait plus à lui, il était apparu devant chez elle, à la sortie de son travail. À la fermeture du bureau, il était devant et demandait s’il était encore possible de voir un conseiller. Le rideau venait d’être baissé. Quand elle le reconnut, ils s’exclamèrent en chœur qu’elle coïncidence ! Elle eut une seconde d’hésitation, pensant qu’il l’avait fait exprès. Elle ne savait pas encore que ce n’était pas du tout une manœuvre pour la revoir, mais qu’il s’agissait chez Tino d’un mode de fonctionnement. En effet, déranger les gens à la fermeture, d’un bureau, d’un magasin, d’un cabinet de dentiste ou autre, était assurément un plaisir dont il ne se privait jamais. Cela agaçait profondément tous ceux qui déjà soupiraient d’aise en entrevoyant un début de soirée tranquille avec leur petite famille. Quand il voyait dans les yeux leur déconvenue, Tino buvait ce petit plaisir mesquin comme on déguste un divin nectar. Il pouvait s’exclamer alors « vous fermez ! Oh, je ne savais pas, ah bon ! » Cet étonnement qu’il contrefaisait l’amusait encore plus.

Mais Monica saisit, après réflexion, qu’en effet, il ne pouvait pas savoir où elle travaillait, elle commença à comprendre à qui elle avait à faire. À ce qui fut leur premier et dernier rendez-vous, il la convia à une séance de cinéma. Elle aurait préféré se rendre dans un bar branché, mais il avait insisté pour qu’ils assistent à un film policier très sombre, angoissant et très réaliste d’un pessimisme infini sur l’humanité. Ils étaient sortis, lui, enchanté et elle, déprimée.

Il la conduisit ensuite dans un bar qui s’avérait à la hauteur du propos du film, un lieu d’une propreté minimum éclairé de LED à retardement, diffusant une pauvre lumière jaune sale. Sur les murs une tapisserie verte poisseuse, dans la salle, des tables en vieux formica abimé tout ça pour une clientèle avachie, vieille et triste. Enfin, un patron chevelu au sourire quelle jugea vicieux. Monica regrettait amèrement d’avoir accepté le rendez-vous. Tino se perdit en lamentations racontant comment le monde entier le détestait, tous ceux qu’il côtoyait lui en voulaient. Monica qui n’était pas une idiote comprit à qui elle avait à faire : un emmerdeur professionnel.

Pour son plus grand soulagement, elle ne revit pas Tino pendant trois semaines quand un jour il l’invita à nouveau, à dîner cette fois, dans cette pizzeria de malheur. Monica se félicita, à retardement, de n’y être pas allée, car elle aurait pu, elle aussi, être « la victime de ce tueur ! »

L’alibi de Monica s’avérait solide, elle avait été vue avec son chien par la boulangère de la place en bas de chez elle quand justement elle baissait son rideau. Elles avaient parlé ensemble un moment. L’une pour traiter la jeune femme d’idiote qui laissait son « clébard, chier sur le trottoir sans ramasser les crottes » l’autre pour lui rétorquer qu’elle n’avait pas à recevoir de leçon d’une vieille sorcière qui vendaient ses croissants de la veille au-dessus du prix normal. L’échange avait amusé quelques passants et l’un d’eux les avait filmés avant de s’empresser de mettre sa petite production plutôt médiocre, sur le net.

Décidément, Monica n’avait pas pu tuer Tino. Qui était passé à l’acte ?

Ecrit par Marie-Laure Bousquet

Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk


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