Rosetta son ex-patronne condamnée à mort par un tribunal médiéval ! voilà qui avait de quoi étonner l’intéressée elle-même, mais également Mikaël, celui qui avait subi sa désinvolture coupable. Certes, l’injustice de son renvoi de son métier de grutier l’avait choqué, mais là, la punition lui paraissait bien extrême. D’autant plus qu’il avait trouvé l’attitude de son associé bien plus perverse et coupable que celle de Rosetta. Elle avait, après tout, appliqué la loi sans état d’âme. Mais pour le moment, Mikaël qui observait la scène depuis sa situation de serveur ne disait rien. La tablée avait écouté les chefs d’accusation du patron des Trois Canards, oubliant de manger les lambeaux de chairs chaudes qui les regardaient avec consternation. La sanction énoncée : la peine de mort, il se tût enfin, observant l’assemblée et semblant attendre quelque chose. Devant le silence, il se retourna vers Rosetta et dit :

 Qu’as-tu à dire pour ta défense femme ? Je vois bien que tu ne comprends pas bien ce qui t’arrive.

 Tu l’as dit ! C’est quoi cette bouffonnerie ?

Elle avait donc réfléchi à sa situation et à ce que ce tribunal lui reprochait. Ils avaient dit qu’elle ne servait à rien ! parce qu’il fallait servir à quelque chose ? Être un outil ? Un levier et pourquoi pas une cuillère !

 Et vous ? vous servez à quelque chose ? Moi, je paie mes impôts, je suis à jour de mes assurances, mon casier judiciaire est vierge et même je suis chef d’entreprise, oui ! je fais travailler des gens, moi, je les paie, grâce à moi, ils ont une protection sociale, des revenus et ils peuvent faire des projets sur l’avenir ! qui peut en dire autant ici ?

Il y eut un brouhaha et des mains se levèrent. Hughes Leprévôt leva la sienne, ce qui eut pour effet de faire taire instantanément l’assistance.

 Tu as besoin d’un avocat, qui veut bien jouer ce rôle ?

Un rôle ! ainsi tout ceci n’était qu’un jeu ! Mikaël éprouva un grand soulagement. Un homme se leva.

 Je veux bien être son avocat.

L’homme en robe noire s’approcha de Rosetta. Son allure était modeste, le dos voûté, très grand et maigre, il n’avait pas beaucoup de cheveux et devait bien avoir dans les soixante-quinze ans.

 Vous êtes quoi ? Un curé ?

 Oui femme, je fais effectivement partie du clergé. Je suis là pour défendre la justice et toi-même si tu le mérites.

 Comment ça si je le mérite, bien sûr que je le mérite, je n’ai rien fait de mal ! vous m’entendez tous ? Rien de mal !

Sa voix qui jusqu’ici était plutôt fluide commençait à prendre des accents de panique. L’aspect étrange de son défenseur l’avait apparemment plus inquiété que rassuré.

Mais Mikaël ne s’en faisait pas trop pour elle, il commençait même à se demander si elle n’était pas de mèche avec les convives pour animer ce repas médiéval. Il continuait son service, alors que toute l’assemblée depuis que l’avocat s’était manifesté s’était remise à manger et même à discuter autour d’une étrange créature qui venait d’entrer. Un tenue humble, les cheveux longs très bruns bien qu’un peu en bataille, et pourtant elle semblait très à son aise et bavardait gaiement.
Mikaël demanda qui elle était, on lui répondit que c’était l’herboriste. Les convives fascinés lui posaient des questions, certains demandaient des décoctions ou des conseils, enfin, plus personne ne s’intéressait à Rosetta.

L’avocat commença sa plaidoirie dans ce bourdonnement de voix et le cliquetis de cuillères. Visiblement, ce qu’il avait à dire n’intéressait personne. Rosetta s’inquiéta :

 Mais que font tous ces cons ? Ils n’écoutent pas !

Effectivement, même ses invectives étaient pratiquement inaudibles sauf pour Mikaël qui s’inquiéta quand il vit que son ex-patronne grelottait de peur. Elle ne jouait donc pas la comédie ?