Jeanne et Gédéon
Jeanne et Gédéon vivent ensemble depuis si longtemps, qu’ils ont tout oublié. Mais Jeanne disparait, emportée par d’étranges créatures, et Gédéon va apprendre qu’ils ne sont peut-être pas ce qu’ils croyaient être ! (3ème chapitre)
De son épouse, il restait que ce rêve et cette plume blanche qui dansait dans l’espace devant lui. Il tendit la main pour s’en saisir et celle-ci se déroba. Il entendit le grelot joyeux d’un rire de jeune fille. Jeanne ne riait pas comme cela, elle avait soixante-trois ans. C’est alors qu’il eut une révélation. Mais comment avait-il été aussi aveugle ! Sa Jeanne depuis leur rencontre, quarante ans auparavant, n’avait jamais changé ! elle avait toujours l’apparence de ses vingt ans. Il courut dans la salle de bain pour voir dans le miroir si lui-même avait été la victime heureuse de ce drôle de sortilège. Mais non. Il avait un peu grossi en même temps que ses traits du visage s’étaient creusés. Deux poches soulignaient de lassitude son regard aujourd’hui un peu délavé par les années. Mais elle, comment cela était-il possible, non seulement elle n’avait pas vieilli, mais comment se faisait-il qu’il ne s’en soit jamais aperçu ?
Le rire joyeux se fit à nouveau entendre à son oreille. Puis une voix lui chuchota.
Lève-toi, vient à la fenêtre.
Il se leva comme en transe et souleva le store. Dans le ciel, le rideau noir et velouté de la nuit révélait une myriade d’étoiles avec au centre le croissant luisant de la lune.
Alors la voix lui dit :
Regarde cette étoile là-bas qui brille plus que les autres, c’est la mienne.
Il scruta le ciel et ne mit pas longtemps à découvrir une des étoiles qui semblait scintiller plus fortement que les autres. Il tendit son index vers elle. La voix lui dit :
C’est bien celle-là ! Viendras-tu me retrouver ?
Gédéon voulut répondre quand la sonnerie de la porte d’entrée retentit. Il se leva un peu étourdi. Il ouvrit pour découvrir Georges et son copain Poilu, nom donné en raison évidemment d’une pilosité assez hors du commun, car son vrai prénom était si peu usité que personne ne s’en souvenait.
Ils étaient là, le regard un peu hébété. Visiblement en état d’ébriété.
Salut, Gédéon, on pense qu’il y a des gens pour toi dehors.
Qui ça ?
Bin Jeanne enfin, des Jeannes, c’est quand Poilu allait rentrer chez lui, on a fêté son anniversaire, ce qu’on a rigolé. Enfin bref, on sort et voilà. Un régiment de femmes, toutes pareilles à ta femme des petites blondes de vingt ans... Poilu se retourna vers Georges, il ne s’embête pas quand même ! Georges qui comme
Gédéon n’avait pas perçu cette étrange différence d’âge ne comprenait pas.
Ils s’écartèrent pour que Gédéon puisse voir la rue.
Et alors ?
Les deux compères se regardèrent et enfin se retournèrent. Ils étaient stupéfaits. La rue était vide.
...
Pendant ce temps Jeanne faisait connaissance avec celles qui se prétendaient ses sœurs. Elle était éblouie par ce que ses yeux lui permettaient de distinguer enfin. Les couleurs, la lumière, les formes ; un univers entier et merveilleux.
Les créatures semblables à Jeanne étaient très gentilles avec elle et lui posaient des tas de questions. La silhouette étrange qui était venue la chercher avait disparu dès leur arrivée sur la planète.
Alors, c’était comment la vie sur terre ? Tu as un mari, il est comment ? Il est beau ? Ah non c’est vrai sur terre nous sommes aveugles...Jeanne apprit que la perception de la vue des Jeanniennes (c’était le nom des habitantes de cette planète) était si différente de celle des humains qu’il fallait un intermédiaire androïde le robot Caramba, c’était son nom, pour les guider sur terre. La nouvelle venue aurait bien aimé poser plus de questions à cet androïd. Jeanne N°58 lui expliqua alors qu’il était en plein rechargement, car sa batterie avait été au bout de ce qu’elle pouvait donner pour aller sur terre et les ramener toutes. Le mystère de sa naissance fut malgré tout éclairci, elle avait été plantée dans le jardin d’un couple de Jeanniens et quand elle avait atteint la taille adéquate...
On l’avait cueilli comme une fleur ? demanda Jeanne ?
Qu’est-ce que c’est une fleur ? lui répondit-on...
Une plante, souvent petite, très douce et qui sent bon.
Bientôt, la question du sexe de ces drôles d’anges ne manqua pas de surgir et elle apprit qu’il n’y avait pas de véritables différences. Elles étaient toutes à la fois mâles et femelles et en même temps ni l’un ni l’autre. La procréation se faisait dans des jardins matriciels. Quand elle se souvint que le robot lui avait dit qu’il connaissait sa famille, on lui répondit qu’elles étaient toutes de la même famille, et qu’il avait dû arranger la vérité pour ne pas l’effrayer. Jeanne allait de surprises en surprises. Elle adorait tout ce qu’elle voyait et pourtant quelque chose lui manquait.
Le temps était passé si vite qu’il lui semblait qu’elle était partie depuis dix minutes, en fait cela faisait deux ans.
Gédéon avec le temps, deux années sans sa Jeanne, aurait bien aimé s’habituer à cette absence. Malheureusement cela était loin d’être le cas. Il comprenait qu’il y avait des choses qui lui avaient échappé ; comme le fait qu’à soixante ans, elle avait toujours le même visage et la même silhouette qu’à ses vingt ans. Ensuite, qu’il ne parvenait pas à se souvenir où il l’avait rencontré. Ces dernières années étaient à peu près claires dans son esprit ; il travaillait sur les toits... et quand il voulait remonter plus loin dans le temps, c’était le flou complet. Il n’avait pas de famille en dehors de Jeanne. Des amis, ils n’en avaient pas, seule la compagnie de l’autre leur suffisait, du moins c’est ce qu’il avait pensé.
Ecrit par Marie-Laure Bousquet
Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk