Jumeaux

Jumeaux : Chapitre IV

Deux hommes, deux frères liés par la gémellité, au destin très différent, victimes d’étranges événements, vont malgré eux, échanger leur vie. 4ème et dernier chapitre.

Dans ce cauchemar horriblement réel, Victorio était assis devant son frère qui était vêtu comme un bagnard de Cayenne, et qui lui demandait de reprendre sa vie. Tomy murmurait doucement :

-  Ce n’est pas de ta faute, je ne sais pas pourquoi c’est arrivé, mais je sais que tout peut changer. Tu es mon frère et je t’aime. J’ai bien compris que tu étais là-bas, chez moi, et qu’ils te prennent tous pour moi. Rachel et Audrey le croient aussi et c’est bien, c’est le destin qui la voulut.
Mais mes forces m’abandonnent, je ne suis pas à ma place. Je dois retrouver ma famille et toi tu te battras sur ce lit pour survivre.
Victor se réveilla angoissé et en nage. C’était un dimanche matin, la place à côté de lui était vide. Rachel était levée. À son tour il se leva. Avant d’entrer dans la cuisine, il surprit une conversation entre Audrey et sa mère.

- Depuis que l’oncle Victorio est dans le coma, papa n’est plus le même, parfois je ne le reconnais plus.

- Comment ça tu ne le reconnais plus ?

Audrey hésita et finit par dire tout bas

- Il ne sourit plus pareil, ça me brise le cœur.

- Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. J’ai une grande nouvelle !

- Bonjour mes chéries !

Victorio choisit ce moment pour rentrer.

- Tomy ! Tu arrives à point, j’ai quelque chose à t’annoncer.

Rachel ne put attendre plus longtemps et s’écria :

- Nous allons avoir un autre enfant !

Audrey sauta de joie, quant à lui il n’aurait pas su dire s’il était heureux ou triste, il n’avait jamais eu autant envie de rester dans cette maison. Il se sentait mal, toute l’horreur de la situation lui enserrait la gorge. Rachel pensa qu’il se faisait du souci pour son frère dont les nouvelles n’étaient pas bonnes. En effet, il était si faible que les médecins ne lui donnaient plus beaucoup de temps avant que son état ne se dégrade fatalement.

Ce n’est plus possible pensait-il, mon frère ne mérite pas cela. La journée passa dans une sorte de brouillard jusqu’à la nuit où il sombra dans un sommeil épais.
Une pluie dense rayait l’espace. Il le vit. Tomy était là, enroulé dans l’anorak déchiré, à moitié enfoui dans la neige, le visage tuméfié et brûlé par le froid. Quand il s’approcha, il entendit ses gémissements. Victorio, ému, se précipita et le dégagea en douceur de l’emprise de la neige. Il le prit dans ses bras pour le réchauffer et se mit à le bercer. Enfin, des larmes plein les yeux, Victorio eut le courage de lui chuchoter :

- Reprends ta vie …il le faut !

Alors il y eut le bruit régulier et doux de la pluie, longtemps, très longtemps. Victorio sentit qu’il glissait dans le corps meurtri de Tomy.

Tomy sursauta, Il était là, chez lui. Il pouvait bouger. Il avait mal à ses paupières, mais il pouvait ouvrir les yeux et voir un peu de la lumière du réverbère de la rue dont quelques rayons se glissaient entre les lames du store. Rachel ronchonna alors qu’il se pelotonnait contre elle.

- Mais tu es gelé ! Ho, mais heu…

Il était épuisé et s’endormit enfin, rassuré et réconforté par le contact doux et chaud du corps de Rachel. Au matin, il ne réussit pas à sortir du lit, tant il était fatigué. Ses muscles semblaient avoir fondu dans la nuit. On appela le médecin qui ne put expliquer le phénomène. Un choc, sans doute, la crainte de perdre son jumeau, toutes les possibilités furent évoquées et Tomy se garda bien de parler de ce qu’il venait de subir.

On lui prescrit du repos et de l’exercice modéré avec une alimentation saine et protéinée pour regagner du muscle, car il était incapable de marcher. Un kinésithérapeute s’occupa de lui et rapidement, en peu de jours, Tomy retrouva un semblant de forme. Il sut qu’il allait être papa une seconde fois. Il ne sut pas très bien comment il devait prendre cela. Son esprit rejeta la réalité. Peut-être avait-il rêvé et que tout cela n’était qu’une sorte d’amnésie. Il ne se confia pas à Rachel, gardant pour lui toute cette histoire secrète.

Un après-midi, ils eurent des nouvelles de l’hôpital. Un miracle avait eu lieu. Victor s’était réveillé, son corps décharné et si affaibli quelques jours auparavant, avait soudainement retrouvé des forces. Le premier jour, Tomy trouva un prétexte pour ne pas accourir au chevet de son frère. Il se sentait mal à l’aise et voulait se donner le temps de réfléchir. Enfin, il n’y tint plus. À peine passée la porte de la chambre, il se sentit heureux, et les deux frères tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

Tu m’as tellement manqué ! on a eu si peur.

Moi aussi, mais c’est fini !

Tomy guetta dans les yeux de son frère un signe quelconque, mais rien n’apparut. Aucune allusion ne fut faite à ce qui s’était passé.
Quelques semaines plus tard, Victorio put regagner son appartement.

Ils ne parlaient pas de leur aventure même quand ils se savaient seuls. Devant le silence de Victorio, Tomy pensa qu’il avait été victime d’hallucinations. Quant à Victorio, il paraissait traumatisé, il jura qu’il ne prendrait plus jamais de risques inconsidérés, ce qui soulagea son frère.

Quelques mois plus tard, Rachel mit au monde les petites jumelles les plus adorables de la terre.

Deux ans plus tard ...

Miranda jouait sagement sur son lit dans sa chambre avec Minestrone le chat angora. Rachel n’avait pas voulu qu’elle aille à l’école ce matin-là, car elle lui avait détecté un peu de fièvre et une vilaine toux. À midi, Victoria, sa sœur jumelle allait bientôt rentrer de l’école quand le médecin arriva enfin. Il examina Miranda. Tout va bien dit-il. En effet, Miranda n’était plus chaude et souriait en pleine forme. Victoria fit son entrée, elle était pâle et toussait comme une perdue. Le médecin l’examina et lui prescrit un repos au lit et quelques médecines. Quand elles furent seules, les deux sœurs chuchotèrent.

- Tu as vu la tête du toubib ?

- Victoria, tu sais que je n’aime pas ça ! maman ne comprend rien et elle est inquiète.

- Eh bien quoi ? Tu as fait un petit tour à l’école, tu adores ça, moi je m’ennuie, je n’avais pas envie d’y aller. Tu n’étais pas si malade.
Miranda soupira.

-  La prochaine fois, je vais te faire la même chose quand tu iras au cinéma avec tonton Victorio. Au milieu du film, je prendrai ta place et ce sera bien fait pour toi !

-  Ho lala ! quelle histoire tu fais pour trois fois rien !

-  Si tu recommences, je le dirai à papa. Tu sais ce qu’il a dit, s’il nous y reprend on sera privé de vacances à la montagne.
Fin…

(Illustration par Jean Camille)

Ecrit par Marie-Laure Bousquet

Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk


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