Talence
Le lundi 25 janvier, jour officiel de rentrée des L1, les étudiants se sont donnés rendez-vous à partir de 10h30 sur le parvis de l’Université Bordeaux Montaigne. Solidarité et témoignages ont été les maîtres mots de ce rassemblement, visant à accueillir les L1 et à réunir tous les autres étudiants volontaires pour ce qui devrait aussi être leur rentrée.
Ils étaient plus d’une bonne centaine à se réunir dans le froid de ce début de semaine. De nouveau sur le parvis de leur fac, les étudiants redécouvrent un lieu qu’ils n’ont pas vu depuis trois mois. Les exclamations fusent : « Ça fait trop bizarre de revenir ici ! […] C’est déprimant un campus vide… ». Au milieu de cette foule un peu timide et isolée en petits groupes, une « étudiante fantôme » se déplace de groupe en groupe avec sur sa pancarte écrit : « Ceci est une L3 plus contagieux.se qu’un(e) étudiant(e) de prépa et moins responsable qu’un(e) collegien(ne) ». Elle propose à tous d’aller prendre un café ou autre boisson chaude pour se réchauffer, sur le stand un peu plus loin, avec à disposition des madeleines et autres brownies. Le tout gratuitement, puisque l’enjeu est avant tout la solidarité, pour faire face à la précarité étudiante, mais aussi la convivialité, pour renouer du lien social. Tout ceci est permis grâce à quelques syndicats, comme l’UNEF (l’Union Nationale des Etudiants de France), sur une initiative lancée par EBM (Etudiant.es Bordeaux Montaigne). Ils ont organisé l’évènement, en installant un stand, des enceintes et micros, des pancartes mais aussi des chaises vides, accompagné de témoignages anonymes scotchés dessus. Ces chaises vides, ce sont celles des étudiants fantômes, qu’on ne considère pas d’une part, et qui sont invisibles sur les bancs des amphithéâtres d’autre part. Si ces jeunes ont bien conscience du risque qu’est le coronavirus, ils appellent au bon sens. « On ne demande pas un retour à la normale avec un retour de tous les étudiants comme avant. Mais au moins un jour par semaine ou une semaine sur deux ». Car ce qui inquiète le plus les organisateurs de ce rassemblement, ce sont les conséquences psychologiques et la détresse profonde de certains de leur semblable.
- Distribution gratuite de gâteaux et boissons chaudes
Un temps de parole a ensuite été ouvert. Un à un, les étudiants se sont succédés, pour parler de leur ressenti. Au final, ils sont près d’une quinzaine à avoir témoignés. Globalement, on ressent un sentiment de génération sacrifiée. Mais Zinedine, 23 ans, qui prend la parole en premier revient sur ce mot qu’il entend à toutes les sauces : « La classe politique a effacé notre existence de son esprit. Mais je suis excessivement fatigué d’entendre l’expression génération sacrifiée. Alors que premièrement, tout sacrifice implique des bénéfices en retour et que plus traditionnellement, le sacrifice dans la plupart des cultes a toujours été un rite mettant l’objet sacrifié au centre d’un hôtel visible par tous. Or, de la gauche à la droite, qui parle quotidiennement des jeunes ? ». Ceux rassemblés ici demandent avant tout plus de reconnaissance. Fatigués d’entendre « il faut tenir bon » alors qu’en parallèle, on les traite d’irresponsable. On sent une certaine amertume et incompréhension de voir le système scolaire privilégié au détriment du système universitaire. Car si un étudiant n’a pas besoin d’être gardé par ses parents, ne les empêchant donc pas d’aller travailler, il a tout de même besoin d’être encadré pour étudier dans de bonnes conditions. Or, le distanciel n’est pas propice à ce bon développement. Selon Médiapart, 9 élèves sur 10 ne sont pas capables de bien suivre les cours en ligne. Le décrochage scolaire touche de plus en plus de monde. Une étudiante dans cette situation a tenu à témoigner : « Ça fait un an que je fais rien, que j’ai décroché. Quand je vois comment on parle de nous dans les médias, on est "des branleurs, des petites merdes" »…Et là, l’annonce prochaine de ce troisième reconfinement. Je ne sais pas comment je suis en train de survivre à ça. Je passe ma vie au rayon développement personnel de la FNAC. Quand je pense à mes deux superbes années en fac d’histoire, j’aurai jamais pu penser que je finirais, l’année d’après, à me faire traiter de pétasse parce que je distribue des promos Ubereat dans la rue pour survivre financièrement ».
- Les étudiants arrivent de plus en plus nombreux au rassemblement
Les jeunes doivent donc faire face à un manque de reconnaissance de la part du gouvernement ou encore au cours en distanciel qui fragilisent énormément leurs études. Mais un autre problème majeur survient depuis plusieurs mois : le sentiment de solitude. Cloitrés chez eux, souvent dans un 9m² , sans autre compagnie que leur ordinateur, l’avenir pour ces jeunes semble difficile. Les dommages psychologiques commencent à se faire ressentir chez certains, comme en témoignent certaines prises de parole très émouvantes. C’est le cas d’Anaïs qui s’exprime. Elle est en troisième année de philosophie : « enfin, si on peut appeler cette année une "année d’études" ». La crise sanitaire m’a privée de ma vie sociale, je ne sors plus. Je ne vois plus personne, je me sens seule, je me replie sur moi-même. Chaque jour je me lève en ayant à l’esprit que cette journée sera la même qu’hier et la même que demain. Je suis épuisée mentalement ». Un sentiment de profonde dépression, parfois même de suicide, se fait ressentir dans beaucoup de discours : « Je n’ai pas 30 ans et j’ai déjà rédigé ma lettre de suicide. Elle est là, elle attend dans mon trieur dans la catégorie « divers ». Elle attend que le fil sur lequel je marche rompe ». Et cet étudiant n’est pas le seul. 22% des personnes interrogés par l’UNEF ont déjà pensé au suicide en ces temps de crise. Pour faire face à ces problèmes qui peuvent tuer, comme le démontre les récents évènements d’étudiants qui se sont défenestrés ou ont tenté de mettre fin à leurs jours, il semble primordial de prendre des mesures. C’est pourquoi, l’université de Bordeaux Montaigne reprendra partiellement ces cours en présentiel, pour tous les niveaux et pas uniquement les L1. Le 26 janvier, Lionel Larré, Président de l’Université annonçait : « Pour tous les niveaux, les TDs peuvent être organisés à demi-jauge, dans la mesure du possible pour les équipes pédagogiques ». Il a précisé par ailleurs que le retour sur le campus n’était pas une obligation mais une opportunité.
Ecrit par Noémie Renard