Bordeaux
« Aucun critique n’est important, c’est le créateur qui l’est » Pierre Barillet auteur de cette pique a raison, il en a apporté encore la preuve ce soir.
A la terrasse d’un café parisien, Daniel vieux critique musical est assis. Il attend Thierry, jeune étudiant, fringuant Rastignac fraîchement arrivé de sa province qui lui a été chaudement recommandé par un certain Pavel. A travers une situation somme toute banale, Pierre Barillet décrit avec précision, par petites touches pointillistes, l’évolution de leurs rapports. Ce pourrait être pourtant le simple récit d’une rencontre, mais l’auteur, avec un talent consommé, s’en saisit pour raconter en creux l’histoire de Daniel et de Pavel, pour régler son compte aussi au petit monde de la critique et de l’élite. Enfin, c’est une réflexion terrible sur le bilan d’une vie paradoxalement vide, où il ne reste que le pathétique espoir de s’accrocher, comme pour ne pas mourir, à une nouvelle attache, à ce jeune homme dont il aimerait se faire un ami, peut-être même un amant, même si l’évocation d’amours anciennes et d’une épouse (toujours invisible) peut laisser planer un doute …. Daniel est lucide, existentialiste, misanthrope et amer. Philippe Crespeau ( Daniel ) donne à son personnage une intensité et une intériorité rares. Il campe à merveille ce personnage à la quête désespérée d’un autre pour rompre avec sa solitude.
- Philippe Crespeau et Yann Ar Branov
L’amour, le sublime, le suprême, il l’a trouvé, dit-il, dans la musique. Il voudrait, avec une insistance de plus en plus gênante pour le jeune Thierry interprété par Yann Ar Branov remarquable de justesse et de sobriété, devenir son pygmalion, son guide moral et intellectuel. Le jeune provincial moins naïf et moins influençable qu’il n’y paraît, se détache peu à peu jusqu’à découvrir les failles et les mensonges pitoyables de son mentor. Barillet et Gredy : voilà deux noms qui sonnent encore aux oreilles des théâtreux, mais on l’associe souvent à des pièces légères, et à des acteurs comme Jacqueline Maillan pour ne citer qu’elle. On a oublié que Pierre Barillet a débuté sa carrière de dramaturge en écrivant des pièces noires et on ne s’attend donc pas à être à ce point bouleversés par ce texte poignant et sombre paru il y a peu. Claire Poirson est une jeune femme qui porte bien son prénom, elle est fraîche et pétillante, peut-être est-ce son enthousiasme juvénile qui a persuadé Pierre Barillet de lui confier cette pièce encore jamais adaptée au théâtre. La mise en scène sans falbalas inutiles, la très bonne idée - malgré quelques longueurs – de cette séquence filmant des personnages en ombres chinoises comme illustration du temps qui passe, le joli décor à l’ancienne, la qualité et la sobriété des deux comédiens ; tout concourt à faire de cette soirée un grand et beau moment de théâtre.
« Aucun critique n’est important, c’est le créateur qui l’est » Pierre Barillet auteur de cette pique a raison, il en a encore apporté la preuve ce soir.

Ecrit par Josette Discazeaux
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