Bordeaux
Sur La scène de ce petit théâtre de poche, faiblement éclairée, une femme, tout de noir-vêtue, est assise. A côté d’elle un vase et quatre roses blanches …
Son enfant est mort hier. Leur enfant est mort hier. L’inconnue, brisée, mourante, décide alors d’adresser à celui qui fut l’amour de sa vie, l’écrivain « R », ce bel et atroce indifférent qui ruina sa vie, qui ne la reconnut jamais, une lettre testament, chant d’amour vibrant, cri déchirant et absolu, pour lui faire enfin l’aveu de la passion qui l’a consumée tout au long de son existence. Ce texte magnifiquement écrit par Stefan Zweig est d’une rare élégance, et d’un style précis. On peut regretter toutefois qu’il n’éprouve ici aucune compassion pour son personnage. Il se contente de décrire avec une acuité d’entomologiste les affres de la passion, la tragédie de cette femme, habitée depuis son adolescence, jusqu’au fanatisme, par un amour exclusif qui la dévore, qui la brûle. Par elle, il donne même l’absolution à cet homme dilettante insupportable et superficiel, qui « malgré » lui ? détruit la vie de cette femme, vie qu’elle lui avait pourtant entièrement et inexorablement dédiée.
- Sandrine Delsaux
Tel l’auteur, le héros décrit en creux dans cette lettre est écrivain, riche, cultivé et lettré, boulimique de voyages, comme lui aussi il habite Vienne. Comment ne pas y voir l’alter ego de Stefan Zweig ? Cette « inconnue » est monomaniaque à l’image de nombre de personnages de Zweig (« Le joueur d’échecs », l’obsédé de la roulette de « Vingt- quatre heures de la vie d’une femme »). Tous sont déshumanisés par leur obsession, à un point tel que l’amour que ressent cette femme pour son enfant n’est que le substitut de celui qu’elle ne peut assouvir pour cet homme qu’elle adore « plus il te ressemblait, plus je l’aimais ». Elle tombe en amour comme d’autres entrent en religion. Cette passion va alors l’envahir, devenir fanatique. Elle en devient pathétique, elle lui pardonne tout : sa légèreté, sa faculté de l’oublier après chacune de leurs rencontres. Elle ne le condamne jamais, allant même jusqu’à le prier de l’excuser dans sa lettre si certains souvenirs peuvent lui être pénibles. Sandrine Delsaux est cette inconnue déchirante, fiévreuse, tendue comme un arc pour délivrer ce cri, son cri. Sans jamais tomber dans le pathos, la passion malgré tout affleure sous la maîtrise retenue. On sort de ce spectacle sélectionné en Avignon, bouleversés, révoltés aussi peut-être, en tout cas, atteints et touchés, les applaudissements sont une délivrance après tant d’émotion …
Ecrit par Josette Discazeaux