Bordeaux
À Bordeaux, l’Espace Saint-Rémi accueille l’exposition de Philippe Katerine consacrée à ses « dessins mignonistes », dans le cadre du Festival Gribouillis. Entouré de Philippe Éveno (commissariat), de Sophie Giraud (éditions Hélium) et de Sarah Vuillermoz (direction artistique du festival), l’artiste a guidé le public avec humour et légèreté, entre trait naïf et pensées graves. Au fil de la visite, le mignonisme s’affirme comme un langage visuel immédiat, ancré à Bordeaux et nourri par l’édition.
Le “mignonisme” selon Philippe Katerine
« Le Mignonisme, c’est un courant artistique, dont je suis le seul membre », lance Philippe Katerine, avec autodérision et espièglerie. L’affirmation pose le cadre : un art personnel, ouvert à l’adhésion du regardeur mais jalousement autodéfini par son auteur. « C’est venu pendant le confinement », précise-t-il, « en assemblant des objets, des jouets d’enfants » qui font naître « des étincelles ». L’exposition met ainsi en tension un “trait naïf” et une pensée lucide : « montrer un peu le tragique de façon un peu mignonne, ou le mignon de façon un peu tragique », résume l’artiste. Dans l’espace, un « nuage tombé » (coton, idées croisées) matérialise cette bascule du réel vers l’enchantement.
- Exposition Philippe Katerine à Bordeaux
- La boite à nuage
À ses côtés, Philippe Éveno rappelle la complicité ancienne entre musique et arts visuels, ainsi que la scénographie conçue pour « donner un sens de lecture » aux pièces, sans brider la circulation des histoires.
Confinement, boîtes et nuages : genèse d’un vocabulaire
Le mignonisme naît d’un désœuvrement fécond : boîtes, petites installations, jouets, matières simples. Katerine évoque « un bonhomme en pâte à modeler, mis sous verre » comme image-totem de la période, « une idée d’expérimentation qui se poursuit toujours ». Le confinement imprègne la lecture des gestes, jusqu’aux mains dressées : « ça peut être vu comme un geste barrière… ou une manière d’attirer l’autre ». Le registre reste volontiers fictionnel, ludique, parfois théâtral « petits théâtres de papier », comme pour interposer humour et tendresse « entre nous et la brutalité qui nous entoure ».
- Exposition Philippe Katerine à Bordeaux
- Philippe Éveno et Sophie Giraud
Sophie Giraud situe ce travail dans une filiation d’artistes et d’éditeurs : l’album, la page, le livre deviennent des lieux naturels de ces images, à la fois proches du dessin d’enfance et pleinement auteurs.
Dessiner vite, penser juste : l’art de l’essentiel
« Un dessin est plus rapide qu’une chanson. Un seul regard suffit », rappelle Katerine, un principe qu’il applique jusque dans la fabrique de l’image. Le processus est direct : « Je fais des crayons de bois… puis, rapidement, j’encre. » Vitesse et économie (« fait en une demi-heure ») n’excluent pas l’idée préalable : « Il y a d’abord une idée. » Les dessins sont des « images, pas des récits », souvent issues de « flashs », de « rêves » ou de « cauchemars », ainsi « un gorille sortant d’une maison ».
Cette écriture épurée assume le blanc : « Tu oses faire un trait très pur… et c’est le lecteur qui fait son histoire », observe Sophie Giraud. Katerine confirme l’absence de rituel (« pas d’heures régulières »), mais revendique une « hygiène » : dessiner comme on va courir, puis donner les portraits aux personnes croquées, « peu de gens se sont fait dessiner », note-t-il, amusé.
Tragique et mignon : un équilibre au cordeau
Au centre du mignonisme, il y a cette tension volontaire entre deux pôles : la douceur enfantine et la gravité de l’existence. « Le mignonisme, c’est d’abord l’idée d’une tragédie », confie Philippe Katerine, qui revendique une manière de « montrer le tragique de façon un peu mignonne, ou le mignon de façon un peu tragique ». Cette formule en apparence paradoxale traduit une conviction : le dessin peut être un outil de résistance face à « l’oppression du réel », en transformant les inquiétudes en images tendres, mais jamais innocentes.
Ainsi, une simple forme en coton devient un « nuage tombé », image poétique qui touche par sa fragilité. De la même manière, des mains levées peuvent être perçues comme des « gestes barrières », symboles de séparation, mais aussi comme un appel vers l’autre, une façon d’attirer. Le mignonisme se situe précisément dans cet entre-deux : il ne se contente pas d’édulcorer le réel, il l’expose sous une forme désarmante, qui fait sourire tout en laissant affleurer l’inquiétude.
- Exposition Philippe Katerine à Bordeaux
- Sarah Vuillermoz directrice artistique du festival Gribouillis et Philippe Katerine
Les exemples plus sombres confirment cette démarche. Le « pistolet renversé », par exemple, est « une réaction à l’actualité » : « Quand tu ouvres le journal, c’est un peu ce qu’on voit… là, on a l’impression que quelqu’un s’attaque à soi-même. » Le choc tient à l’ellipse : « Tu formules en un dessin ce qui prendrait deux ou trois bouquins. » D’autres images, plus provocantes, frôlent le malaise, comme ce phallus tendu « comme un salut nazi », que l’artiste revendique comme une manière d’éprouver la zone sensible où le comique bascule dans le dérangeant.
En assumant ces frictions, Katerine situe le mignonisme dans une tradition qui ne sépare pas humour et gravité, et qui cherche à désamorcer la brutalité en y injectant une part d’innocence apparente. C’est ce mélange, à la fois espiègle et mélancolique, qui donne au mignonisme sa singularité.
Ce que la visite révèle
La dernière partie de la visite insistait sur deux points. D’abord, la temporalité : « Le temps ne passe pas pareil quand on dessine », une absorption que l’artiste dit « presque dangereuse », tant l’après-midi file. Ensuite, la sélection des images : certaines « pour la poubelle », d’autres conservées « parce que l’idée est précieuse ».
Le dialogue avec le public a prolongé ces axes. Des élèves du Master Illustration de Bordeaux réalisaient des croquis sur place, écho à l’écosystème que le Festival Gribouillis anime en ville. Interrogé sur l’impact comparé des formes, Katerine tranche sans dogmatisme : « Médias très différents », l’un (la chanson) installe un climat, l’autre (le dessin) « te concerne tout de suite… ou pas ». Enfin, un retour sur la période des boîtes : « Au fur et à mesure, on remet le dessin assez vite au centre », signe que le mignonisme penche aujourd’hui vers la ligne claire, l’épure, le blanc, sans renier les installations qui l’ont vu naître.
- Exposition Philippe Katerine à Bordeaux
- Philippe Katerine
Ce qu’il faut retenir
Né du confinement, le mignonisme de Philippe Katerine articule gestes simples, humour tendre et gravité assumée. Le dessin, « plus rapide qu’une chanson », concentre l’idée, laisse résonner le blanc et confie au regardeur la part de récit. L’exposition à l’Espace Saint-Rémi en offre une lecture sensible, où la scénographie de Philippe Éveno, le regard éditorial des éditions Hélium et l’énergie collective du Festival Gribouillis accompagnent un travail à la fois intime et partageable.
Cette visite guidée a mis en lumière un art de la condensation : des signes dépouillés, des images franches, et la volonté de « tirer le fil » d’une poésie du quotidien, mignonne, certes, mais jamais innocente.
Lieu : Espace Saint-Rémi, 4 rue Jouannet, 33000 Bordeaux.
Dans le cadre de : Festival Gribouillis — salon du livre du 12 au 14 septembre 2025 ; expositions tout le mois de septembre.
Commissariat : Philippe Éveno, Sarah Vuillermoz.
Éditeur : éditions Hélium nouveauté : Mes dessins mignonistes (mai 2025).

Ecrit par Jean-Sébastien Dufourg
Créateur du site Bordeaux Gazette et Président de l’association.
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