Bienvenue à Sainte Gueille

Bienvenue à Sainte Gueille Sur Gironde : Chapitre II

Tout un village va devoir jouer une drôle de comédie à des touristes étrangers

Le maire voulait confier l’édification d’un site internet censé promouvoir son village à Émile, mais il était ennuyé, car récemment il s’était méchamment moqué de lui.
Donc, le maire confiant en ses capacités diplomatiques accosta le jeune Émile Grenier afin de réparer sa bourde. Le garçon, gaillard de dix-neuf ans, plus grand et plus costaud que la moyenne des habitants de Sainte Gueille écouta le discours charmeur du vieux Raymond qui s’était fait pour l’occasion, petit, inoffensif et chevrotant. Il commença par une tentative d’excuse qui le disculpait totalement de toute responsabilité sur sa mauvaise foi d’alors.

-  Tu comprends je venais d’apprendre une mauvaise nouvelle, ce n’est pas de ma
faute, mais je te promets vraiment, je suis si désolé, mon dieu que je m’en veux, et d’ailleurs, si tu le veux encore, je te propose de commencer ton stage demain matin, tu vas nous monter un site Internet qui sera la vitrine du village.

Émile qui connaissait le vieil hypocrite accepta quand même. Au bout d’une semaine, il s’était acquitté de sa besogne, pourtant aucun contrat, aucune attestation, n’avait encore été signé. Le maire ne parlait pas non plus de rémunération, aussi, Émile décida d’affronter celui qui depuis quelque temps semblait le fuir.

-  N’auriez-vous pas oublié quelque chose, Monsieur Le Maire ?

-  Je ne crois pas non, tu sais je suis très occupé !

Le vieux Raymond sortait de son bar en disant cela et sa démarche hésitante démontrait qu’il avait abusé de l’ignoble picrate du père Monfort que ce dernier offrait tous les ans au maire pour son indulgence sur le choix illicite de la nourriture qu’il donnait à ses veaux.

Je voulais justement te voir, tu as presque fini, et malheureusement, je n’ai plus de travail pour toi ! même Gaétan le cantonnier, je suis en train de lui chercher quelque chose à faire, peut-être la peinture du bureau de la secrétaire de mairie Madame Bonnin, quelle brave femme, toutes ces grossesses, sept enfants quel beau parcours !
Émile comprit qu’une fois de plus ce vieux grigou de maire essayait de se défiler, mais il lui demanda quand même, sans grand espoir :

-  Vous allez quand même me payer pour ce que j’ai fait !

-  Bien sûr, mais il faut que tu travailles un mois complet, dès que j’ai quelque chose, je te le promets, je t’appelle. Au fait comment vont tes parents ?

-  Bien, je vous remercie, je viendrai finir le site cet après-midi.

-  Très bien, merci, Émile, tu es vraiment un brave garçon.

Émile vint au bar me raconter les propos du vieux et je ne fus pas étonnée de son avarice, étant moi-même son employée j’en avais toutes les fins de mois la preuve au bas de ma fiche de paye. Je lui expliquais aussi, en passant, que celle que le maire appelait la brave madame Bonnin était aussi surnommée par ce dernier, « Blanche-Neige la meilleure pondeuse de la région » à cause de ses sept enfants, ce qui faisait régulièrement beaucoup rire les assoiffés du bar. C’est là qu’Émile, dégoutté par toute cette hypocrisie, eu alors l’idée de changer certains détails de son site pour le rendre beaucoup plus intéressant auprès des amateurs d’exotisme.

Après quelques modifications, il convoqua, le personnel de la mairie en la personne de la secrétaire, la fameuse Madame Bonnin, afin de l’initier à la manipulation du logiciel. Il s’était arrangé pour que son petit encart publicitaire vantant la particularité si originale de Sainte Gueille ne soit pas visible depuis l’écran d’ordinateur du village. Quand pratiquement toutes les finesses du site n’eurent plus aucun secret pour Bella Bonnin, il quitta le village à la recherche d’un travail à Bordeaux, se promettant de revenir dans quelque temps pour admirer le fruit de ses vilaines actions.

Un mois passa quand un courrier prometteur arriva par email à la mairie.

« Nous êtes très intéressés par séjour village Sainte Gueille sur Gironde, je présente Mrs Warwick. Je possible amène groupe vingt touristes, ils peuvent payer avance. Nous resterons une journée et une nuit, je viens repérer les lieux dans plus de jours. Je vois, vous proposez prix un peu trop cher, deux mille euros par personne sans voyage, mais eux sont très d’accord, car ils veulent voir les choses pas communes que vous dites.

Veuillez agréer, Salutations distinguées

Mrs Molly Warwick.  »

Le maire sursauta devant le prix annoncé par la fameuse Mrs Warwick, Émile s’était donc trompé ! Apparemment, les touristes semblaient trouver cela normal proposant même de payer rubis sur l’ongle. L’affaire fut conclue et la venue de Mrs Warwick fut programmée pour le début du mois de juillet. On était en mai, on avait bien le temps. Le maire empocha les sommes versées d’avance.

Un beau matin de juin très ensoleillé, l’attention de madame l’épouse du maire fut attirée par un klaxon intempestif. Elle s’apprêtait à sortir en râlant, mais comme elle passait le seuil elle découvrit avec ravissement une énorme et luxueuse voiture rouge pilotée par son mari qui arborait pour l’occasion un sourire denté de vainqueur. Il descendit lentement de son engin, laissant le moteur ronronner, ne perdant pas des yeux les réactions de son épouse.

-  Regarde Momonde, un carrosse pour toi ma princesse !

-  C’est pour moi ? Tu ne m’as jamais fait de cadeau plus romantique ! mais je n’ai pas de permis de conduire !

-  Rien n’est trop beau pour toi ! viens je vais t’amener faire le tour du village, je serais ton chauffeur. Vient ma reine.

L’attelage partit donc en promenade et devant chaque maison, il s’arrêta, klaxonnant à tout va jusqu’à ce que les propriétaires sortent et admirent le merveilleux cadeau du maire à sa mairesse. Aux curieux qui se demandaient comment ce dernier pouvait se payer une voiture aussi chère, Raymond répondait qu’il avait touché un héritage d’un cousin éloigné du côté de sa mère.

La nouvelle m’étonna un peu, car je savais que sa mère n’avait plus de famille depuis longtemps, mais je préférais me taire, me divertissant des mensonges de mon patron, car ce n’était pas la première fois. Je dois bien reconnaitre que cette fois, il avait fait preuve de sobriété en ne donnant pas trop de détails. La Raymonde ne chercha pas non plus à approfondir la question, toute entière absorbée à déguster son bonheur d’être le joyau d’un si bel écrin.

La magnifique voiture trônait sur la place depuis une semaine, quand le drame survint. Un matin de bonne heure, Raymond descendit, armé d’un seau et d’une éponge pour une énième toilette de son joujou de luxe, qui ne brillait jamais assez. Il traversa la rue pour retrouver « sa beauté » comme il l’appelait. Arrivé devant l’emplacement de celle-ci, il commença à battre des bras comme un aveugle cherche son chemin. La voiture était invisible. Il se mit à tourner sur lui-même, puis il posa son seau. Il mit ses mains sur ses yeux, aspira une grande goulée d’air puis les découvrit vivement, la voiture n’était toujours pas là ! Un râle pitoyable s’échappa de sa bouche. Il rentra chez lui. Il referma la porte, puis la rouvrit, sortit et plein d’espoir regarda à nouveau, mais en vain. Il se mit à courir autour la place. Je vis son désarroi depuis mon comptoir, il était six heures et je venais d’ouvrir le bar. J’ai compris tout de suite et je suis parti chercher la Raymonde.

-  Venez, le maire est en train de devenir fou !

(illustration Vincent Van Gogh)

Ecrit par Marie-Laure Bousquet

Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk


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