Bordeaux

Bordeaux : un regard avisé sur le procès Papon

Jean-François Meekel, témoin privilégié du procès Papon a écrit un opus intitulé : "Procès Papon, Témoignages des Parties Civiles, La réception d’une souffrance" et Bordeaux Gazette a demandé à ce témoin particulier de l’histoire de répondre à quelques questions, suite à cette publication.



1-Rappelez-nous votre position durant ce procès qui a défrayé la chronique judiciaire bordelaise pendant des mois.
J’ai « couvert » l’affaire Papon et le procès pour la télévision régionale France 3 Aquitaine de 1990, quand le confrère qui en avait la charge est devenu chef jusqu’à la fin de 2012 quand j’ai pris ma retraite. Et encore, il me fallut revenir quelques jours plus tard car Michel Slitinsky l’un des moteurs de l’accusation contre Maurice Papon est mort début décembre. J’avais bien évidemment préparé une nécrologie mais on me demanda de venir en plateau faire son portrait. Cette affaire emblématique a donc occupée 22 ans de ma carrière de journaliste, de façon discontinue bien sûr à l’exception du procès, qui dura 6 mois en 1997-1998, que j’ai suivi intégralement, je l’avais négocié avec le red-chef de l’époque, il me paraissait bien impossible de faire autrement. Nous fûmes peu nombreux dans ce cas-là et surtout des journalistes de la presse locale, Anny Soum-Pouyalet pour France Bleu et Bernadette Dubourg pour Sud Ouest.

Dessin publié dans "Procès Papon Témoignages des Parties Civiles"

2-Vous avez suivi ce procès de bout en bout, quels sont les personnages qui vous ont le plus marqués durant ces audiences.
Les personnages les plus éminents furent bien-sûr les parties civiles car ce sont elles et eux qui portaient la parole la plus douloureuse, la plus impressionnante, et le récit de leur souffrance a souvent sidéré l’auditoire. C’est le témoignage d’Esther Fogiel qui m’a le plus marqué. Peut-être parce que je la connaissais un peu. Mais j’ai découvert comme les centaines de personnes qui suivaient les audiences la violence qu’elle avait dû endurer alors qu’elle était une enfant dans cette famille « d’accueil » en Lot et Garonne qui en fit l’esclave sexuelle du mari. Ils seront poursuivis et condamnés par la suite mais Esther dont toute la famille a péri dans les camps d’extermination nazis, dû faire avec « la culpabilité de la survivante. » Esther est l’une des 7 parties civiles qui témoignent dans le livre. Mais au rayon des personnages, il faudrait aussi citer les nombreux ténors du barreau qui occupaient notamment les bancs de l’accusation, les Boulanger, Levy, Jakubowicz, Zaoui. Il faut aussi citer le président Jean-Louis Castagnède qui dirigea les débats avec une rigueur et une impartialité à toute épreuve et qui eut un curieux destin. D’abord, il ne capitalisa pas du tout sur cette énorme exposition médiatique et retourna, le procès achevé, à la présidence de la correctionnelle. Plus surprenant encore, il mourut quelques heures seulement après Maurice Papon d’une rupture d’anévrisme. Il avait 62 ans et devait prendre sa retraite quelques mois plus tard.

Dessin publié dans "Procès Papon Témoignages des Parties Civiles"

3-Pourquoi cet opus dans la collection "Témoignages vivants" des dossiers d’Aquitaine" et qu’avez voulu souligner dans ces temps troublés
D’abord dire que ces 7 témoignages ont été recueillis autour de la fin du procès, il y a plus de 25 ans maintenant. Ils ont été publiés dans la revue Ancrage dans les N° de 2021 et 22. Mais j’avais toujours en tête l’idée de les faire exister sous la forme d’un recueil. Et c’est en avril dernier lors de l’Escale du livre que j’ai pris mon bâton de pèlerin et sollicité des éditeurs. André Desforges des Dossiers d’Aquitaine fut le
premier et le bon. Il a donc publié ces textes dans la « Collection Témoignages vivants » ce qui me paraît tout indiqué même si ces 7 là ne sont plus. Leurs fortes paroles, leur regard sur le procès, ce retour sur leur histoire intime n’avaient jusque-là pas trouver d’exutoire. Ce travail que nous avons fait ensemble en toute confiance comble, partiellement, ce vide. Et évidemment, en ces temps où l’extrême droite trouve des adeptes un peu partout en Europe, il est utile de rappeler quelques fondamentaux. Maurice David Matisson s’en charge quand il me dit «  Je ne suis ni pour la loi du sang ni pour la loi du sol, je suis pour la loi qui permet à un être de vivre là où il se trouve, paisible et au travail. C’est la seule vérité profonde et c’est cette vérité qu’on est en train de bruler aujourd’hui avec les clans, avec le communautarisme excessif y compris le juif.  »

Jean-François Meekel, ancien journaliste de FR3, actuellement à la retraite mais toujours très actif avec la revue trimestrielle "Ancrage"

4-Quel effet cela fait d’entrer dans l’histoire quand on a été le témoin d’une telle péripétie qui est loin d’être anodine.
Rentrer dans l’histoire mais par la petite porte ! Celle du scribe. Il est vrai que c’est une aubaine dans une carrière de journaliste d’être confronté à un tel sujet qui charrie à gros bouillons l’Histoire, la Justice et surtout l’Humanité, celle de ces survivants dans ce procès qui permit enfin, selon la formule d’Esther Fogiel, «  la réception d’une souffrance . »

Procès Papon "Témoignages des parties civles"
Jean-François Meekel
Collection Téognages vivants
Les Dossiers d’Aquitaine
60 pages
15 €
ISBN : 978-2-84622-372-0

Ecrit par Bernard Lamarque

Co-fondateur de Bordeaux Gazette


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