Bordeaux
Ce matin-là, le tram A glisse silencieusement vers la Garonne. Des étudiants traversent la place Bir-Hakeim à vélo, des touristes lèvent les yeux vers l’élégante arche de pierre qui trône entre les façades du XVIIIe siècle, tandis que des Bordelais pressés passent sans même y prêter attention. La Porte de Bourgogne s’élève là, sobre et majestueuse, comme un témoin immobile de la ville en mouvement. L’arche, à la fois passage et repère, unit les rives et les siècles. Mais que sait-on vraiment de cette porte qui, contrairement à d’autres vestiges, continue à faire partie intégrante du quotidien urbain ?
Aux origines d’une porte monumentale
L’histoire de la Porte de Bourgogne débute au milieu du XVIIIe siècle, à une époque où Bordeaux connaît un essor sans précédent. La ville, prospère grâce au commerce colonial et au dynamisme de son port, se transforme profondément sous l’impulsion du maréchal de Richelieu, gouverneur de Guyenne. Ce dernier souhaite doter Bordeaux d’un urbanisme digne de son rang, et confie à l’architecte Ange-Jacques Gabriel — déjà célèbre pour son rôle dans la conception de la Place Royale (aujourd’hui Place de la Bourse) — la modernisation des entrées de la ville.
C’est dans ce contexte qu’est décidée la construction d’une nouvelle porte monumentale à l’est de la ville, à l’extrémité du pont de pierre inauguré en 1822. Mais en réalité, la Porte de Bourgogne vient en remplacement d’une porte plus ancienne, vestige des anciennes fortifications médiévales. Elle devait marquer symboliquement l’entrée de Bordeaux pour ceux arrivant par la grande route de Paris, via la Bourgogne, d’où son nom.
Construite entre 1750 et 1755, la porte est pensée non plus comme un élément défensif, mais comme un arc de triomphe urbain, à l’image de l’architecture classique française. Sa fonction est autant esthétique que symbolique : elle affirme la puissance et la modernité de Bordeaux, tout en contrôlant les flux de circulation.
Transformations et usages à travers les siècles
La Porte de Bourgogne, tout comme la ville elle-même, a connu plusieurs métamorphoses. Alors que les enceintes médiévales disparaissent progressivement, l’arche reste debout, témoin de la mutation d’une ville fortifiée vers une métropole ouverte et connectée. Elle devient un élément structurant du tissu urbain, articulant la vieille ville aux nouveaux quartiers qui s’étendent vers la Bastide.
Pendant la Révolution française, comme beaucoup de monuments porteurs de symboles monarchiques, elle échappe de peu à la destruction. Mais c’est surtout au XIXe siècle que son rôle évolue : l’ouverture du pont de pierre, la création des quais et l’aménagement de la place Bir-Hakeim renforcent sa position stratégique.
Au fil du temps, la Porte de Bourgogne devient un nœud de circulation majeur, traversé par voitures, tramways et piétons. Et si elle perd son statut de « porte d’entrée » au sens premier, elle gagne en importance symbolique : elle incarne désormais la transition entre la rive gauche historique et les extensions modernes de la rive droite.
- Porte de Bourgogne
- La porte de Bourgogne illuminée en bleu-blanc-rouge en hommage à Samuel Paty en 2020
Un repère patrimonial dans le Bordeaux contemporain
Aujourd’hui, la Porte de Bourgogne ne garde plus les clés de la ville, mais elle en conserve l’âme. Classée monument historique, elle fait partie intégrante du paysage patrimonial bordelais. Visible depuis les quais et depuis le pont de pierre, elle est à la fois un vestige du passé et un point de repère dans la ville moderne.
Les Bordelais l’utilisent sans y penser : pour indiquer une direction, pour se retrouver, ou comme simple point de passage. Les visiteurs, eux, y voient une arche élégante, un peu mystérieuse, qui appelle à franchir le seuil pour découvrir l’autre rive ou remonter le cours du temps.
De nombreuses visites guidées incluent la porte dans leurs circuits, et des projets de mise en valeur, notamment lumineux, ont été évoqués ces dernières années pour souligner sa beauté architecturale. Dans un Bordeaux où le patrimoine est de plus en plus mis en lumière, la Porte de Bourgogne rappelle que la grandeur ne réside pas toujours dans la monumentalité, mais dans la manière dont un lieu traverse les âges en restant vivant.
Une porte ouverte sur la mémoire
Dans une ville en perpétuelle évolution, la Porte de Bourgogne joue le rôle discret mais essentiel de fil conducteur entre les époques. Elle est de ces portes qui n’enferment rien, mais invitent au passage... À Bordeaux, elle symbolise l’équilibre entre tradition et modernité, entre mémoire et mouvement. La prochaine fois que vous passerez sous son arche, peut-être lèverez-vous les yeux, et verrez non plus un simple monument, mais un chapitre de l’histoire bordelaise ouvert sur l’avenir.

Ecrit par bordeaux-gazette
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