La chaise vide

La chaise vide : Chapitre II

Corentin a rendez-vous avec la femme de sa vie, mais elle est en retard et le doute et son cortège de fantômes s’installent. (Chapitre 2)

Coraline avait maintenant une heure de retard. Il contempla un instant la chaise vide devant lui. Il regretta d’avoir commandé un repas, il ne pouvait plus reculer, alors il improvisa un détachement qu’il voulait ironique, mais qui était juste pitoyable. Non, ce n’était pas grave, et il en profita pour dire à la serveuse qu’elle avait l’air en forme et qu’elle était très jolie ce soir. La serveuse sourit à nouveau, mais elle fait demi-tour, vers une autre table.

Corentin s’inquiétait. C’est bizarre quand même, et si elle avait été victime d’un accident ? Et si elle était morte ? Il se mit à trembler, bon dieu ! il sentit une implosion sourde vibrer au creux de son estomac. Quand la serveuse arriva avec son plat chargé de viandes sanglantes, il eut la nausée. Il cogitait « Ce n’est pas possible, mais si, hélas, c’est possible, elle aurait pu traverser sans regarder. C’était bien dans son style, tête en l’air. Un camion... Son cœur se serra en une douleur intense. Il réfléchit qui pourrait-il appeler ? Ses parents, que pourrait-il bien leur dire ? La meilleure amie de Coraline était en Grèce et de toute façon, il n’avait pas son numéro de téléphone. La serveuse s’approcha plus près de son visage comme pour mieux voir la tête qu’il faisait. Il tourna son regard pour l’ignorer et se plongea dans ses frites. Elle bifurqua vers la table d’à côté.

Il repensa à ce con de kiné. Étrangement, cela le calma. Une idée moins macabre germait dans son esprit. Au non, pas lui, ce débile ! Il se sentit tout à coup submergé par un pénible trouble qui ressemblait à de la jalousie. C’était bien la première fois qu’il ressentait quelque chose de cet ordre-là, en principe, c’était lui qui inspirait ce genre de sentiment, c’est ce qu’il se plaisait à croire. Il plaisait aux femmes, il le savait. Il aimait bien voir dans les yeux de Coraline cette lueur mauvaise quand il se retournait sur une passante. Il ne put s’empêcher de sourire à son bout de viande morte, il leva la tête et faillit parler, mais la chaise en face de lui était toujours vide. Tout à coup, il fut pris de vertige, son corps le lâchait, le sol l’appelait. Il buta au contact dur des carreaux sur son front. Il était tombé. Il avait du mal à respirer.

Quand il ouvrit les yeux, il était dans une chambre étroite aux murs peints en blanc. Un homme entra. Il portait une combinaison blanche qui recouvrait tout son corps et ses cheveux, sa bouche était couverte d’un masque et ses yeux de grosses lunettes en plastique.

Sur qu’elle planète venait-il de débarquer ? Il essaya de parler :

- Qu’est-ce que je fais là ? Où est Cora... ?

- Ne vous agitez pas ! Calmez-vous !

Corentin croyait qu’il avait parlé, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Il étouffait et voulait tousser, mais il était empêché comme s’il était en train de se noyer. Il sentit des larmes couler le long de ses joues. Le soignant comprit sa détresse.
Monsieur, vous êtes à l’hôpital ! vous êtes malade, mais on prend soin de vous.
Quelqu’un lui plaqua quelque chose sur sa figure. Corentin n’entendit plus rien.

- Enfin te voilà !

Elle était radieuse, Coraline lui tendit une enveloppe. Elle était apparue en robe rouge, ses longs cheveux épars sur ses épaules. Corentin se retint de crier. Il voulait paraitre indifférent et ouvrit presque calmement le pli pour en sortir un cliché de ce qui ressemblait à une radio.

Sur la photo, une étrange forme de fœtus avec un visage d’adulte qu’il connaissait bien, celui de Coraline !

- Regarde, c’est notre enfant !

Corentin frissonna quand il vit la forme bouger comme s’il s’agissait d’une vue en prise directe vivante. L’enfant flottait tout en remuant ses petites jambes. Le visage rieur esquissa un baiser qu’il envoya vers lui. Il sursauta. Quelle horreur ! Il leva les yeux vers Coraline.

Mais ce n’était pas Coraline, mais une vieille femme toute réjouie, les lèvres couvertes d’un rouge à lèvres rouge flamboyant. Le cliché lui glissa des doigts.

- Qu’est-ce qui se passe ?

Autour de lui le restaurant était toujours le même et la serveuse s’approcha de lui.

- Bonjour Coraline, alors on dirait que tu étais en retard ! il commençait drôlement à s’énerver, et il nous a fait une petite crise de nerfs qui a fini en syncope. Qui aurait pensé que notre Corentin serait aussi sensible ? Enfin maintenant, tout va bien n’est-ce pas Corentin ?

- Oui, dit-il faiblement.

Il commanda un whisky en évitant soigneusement de regarder Coraline. La serveuse revint avec le verre qui fut liquidé avec une rapidité étonnante. Il fallut bien la regarder, alors la vieille femme lui décocha un énorme sourire aux dents pourries.

- Il est beau n’est-ce pas, on va l’appeler Coralin et...Elle ne put finir sa phrase, une quinte de toux l’en empêcha.

Corentin horrifié demanda quand même.

- Et le kiné alors ?

- Oh ! c’est vrai, je t’avais dit que j’allais chez lui. Mais je voulais te faire une surprise
la vérité c’est que j’étais chez ma gynécologue.

Corentin tremblait, la créature continuait à discourir comme si de rien n’était. La serveuse l’avait appelé Coraline et personne ne paraissait étonné parmi la clientèle habituée à la voir ainsi. La vieille femme s’avança pour l’embrasser. Il eut un geste de recul.

- Ah non ! pas ça !

Ecrit par Marie-Laure Bousquet

Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk


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