Bordeaux
La deuxième journée des 20èmes rencontres cinématographiques est dédiée aux luttes ouvrières en Afrique du Sud. À cette occasion, une conférence a été animée au Musée d’Aquitaine mercredi 14 février par Judith Hayem, professeure d’anthropologie des sciences sociales à l’Université de Lille, et Benoit Dupin, chargé d’enseignement à Sciences Po Bordeaux.
Lors de cette deuxième journée consacrée aux luttes ouvrières en Afrique du Sud, l’exploitation minière constitue le sujet central. "Les mines sont un bon révélateur de l’apartheid et du capitalisme racialiste en Afrique du Sud", explique Judith Hayem. Si la professeure d’anthropologie parle de "capitalisme racial", c’est pour illustrer que ces deux notions sont intrinsèquement liées dès le début de la période coloniale. Les mines ont fait la richesse de l’Afrique du Sud et ont contribué à un système politique raciste et ségrégationniste. Le débat récurrent porte sur la question de savoir si c’est l’organisation capitaliste qui dicte le racisme ou si le racisme prend le dessus sur l’organisation capitaliste. "Il y a une population très diversifiée en Afrique du Sud, et les personnes noires constituent 88% de cette population. Pourtant, dans les années 20, les mineurs noirs sont maintenus à des postes moins élevés. Les exploitants souhaitaient les former davantage pour des raisons économiques évidentes, mais les travailleurs blancs s’y sont fermement opposés lors de grèves. C’étaient donc des raisons principalement idéologiques", expose Judith Hayem.
- Image du film "Miners shot down" de Rehab Day Uhuru Digital
Les premières mobilisations sociales
Les mines sont conçues comme des lieux polyfonctionnels, permettant de loger les familles blanches. Les populations autochtones n’en bénéficient pas et doivent se munir de permis pour accéder au site, provoquant ainsi des mobilisations dans les années 50. "À cette époque, les seuls syndicats reconnus sont blancs. La capacité de résistance des ouvriers repose beaucoup sur la ruse et la débrouille", développe Judith Hayem. En 1973, les grèves de Durban (un des plus grands ports d’Afrique) marquent un tournant important dans l’histoire des luttes sociales sud-africaines. Plus de 30 000 ouvriers interrompent leurs activités, obligeant ainsi les populations blanches à prendre conscience de la nécessité de cette main-d’œuvre, ce qui suscite le début d’une réflexion au gouvernement. Entre 1973 et 1979, l’idée d’une reconnaissance des syndicats non-blancs s’instaure dans le pays.
- Image du film "Miners shot down" de Rehab Day Uhuru Digital
Les luttes sociales se concrétisent
En 1982, Cyril Marcosa, actuel président de l’Afrique du Sud, crée le National Union of Mineworkers (NUM), un syndicat qui va fédérer beaucoup de mineurs noirs bien que beaucoup de personnes soient licenciées à l’issue des grèves. En 1987, l’une d’entre elles réunit 300 000 mineurs, provoquant ainsi des discussions importantes au sein du gouvernement. Le syndicat met l’accent sur la formation et l’éducation de ses membres. "Dans la fin des années 80, il y a des négociations, puis s’ensuivent l’enthousiasme des années 90 suite à la fin de l’apartheid et l’élection de Nelson Mandela. Les mineurs noirs peuvent désormais faire venir leur famille proche des sites, mais encore faut-il pouvoir les entretenir. Une revendication ressurgit alors, un salaire pour vivre", explique a nouveau Judith Hayem
- Image du film "Miners shot down" de Rehab Day Uhuru Digital
Conflits syndicaux et revendications
En 2012, les grèves de Marikina provoquent des tensions considérables entre les syndicats de la NUM et de l’AMCU. Celles-ci sont considérées comme illégales, mais la situation est plus complexe : pour organiser une grève, il faut passer par le CCNa (organe de conciliation et de médiation), ce qui n’a pas été fait à Marikina. Les travailleurs échangent directement avec leur patron, ce qui leur est refusé puisqu’il considère cette grève comme illégale. "Il y avait un véritable enjeu de reconnaissance. Cette notion de communication était très importante, puisqu’il s’agissait de parler d’égal à égal, entre personnes de différentes couleurs", explique Judith Hayem. En dix jours, les mineurs sont encerclés par la police et trente quatre d’entre eux sont tués. Cette grève est révélatrice des tensions qui se sont créées entre les deux syndicats. "Celle-ci a fini par être victorieuse, mais en dépit des transformations du cadre juridique, les mineurs ne sont toujours pas payés pour nourrir une famille", déplore Judith Hayem.
En photo d’ouverture : Judith Hayem et Benoit Dupin lors de la conférence
Ecrit par Laurie Marin