Bordeaux
« Dans une auberge d’Amiens, le vieux Guillot de Morfontaine — entouré de ses courtisanes Poussette, Javotte et Rosette — festoie en compagnie du fermier général Brétigny. De nombreux voyageurs arrivent avec le coche d’Arras. Parmi eux, la belle et jeune Manon Lescaut que son frère doit emmener au couvent … »
« La première a lieu le 19 janvier 1884 sur la scène de l’Opéra-Comique. C’est un événement considérable. Manon suscite d’emblée des réactions violentes et contradictoires, tout en asseyant définitivement la popularité de Massenet en France, puis rapidement, dans le reste du monde. « La foule assiège le bureau de location de l’Opéra-Comique. Le public a pris feu et les journaux assurent que les fauteuils, les loges, les partitions s’enlèvent à prix d’or et que jamais on ne vit succès pareil. » C’est en ces termes qu’un critique rend compte de la première de Manon avec une évidente pointe d’ironie ! D’autres commentaires, souligneront que Paris n’a plus d’autre préoccupation que cet événement musical retentissant. » Dans notre opéra bordelais le public, plus sage mais tout aussi nombreux et curieux a réservé une ovation à cette version 2019 signée du metteur en scène Olivier Py déjà rompu à ce genre d’exercices ; car c’est bien de théâtre alors, qu’il s’agissait. Le décor multiple, en légos mobiles, du plus noir au plus coloré surhaussé d’enseignes lumineuses d’hôtels de passe et autres tripots de jeux, imaginé par l’astucieux Pierre-André Weitz, est constitué de parois éclairées par des néons criards. Nous ressentons déjà les fantasmes et autres obsessions d’un de nos plus grands metteur en scène. Il ne s’en privera pas, sexe et pureté opposés, femmes objets sexuels face à l’homme à la virilité exacerbée, mise en conflit de la chair et de la foi, du plaisir jusqu’à la mort… Entraîneuses et gigolos, réduits à l’état d’objets de désir et ne dissimulant aucun de leurs attraits charnels. (peut-être un peu répétitifs).
- Un surprenant décor de Pierre-André Weitz
Au fil de l’histoire, Manon est de plus en plus cruelle et joue véritablement avec le cœur de son amoureux passionné, Des Grieux, jusqu’à lui envoyer une sacrée libertine pour le consoler. Elle reviendra vers lui au-delà de ses multiples trahisons allant jusqu’à le récupérer au séminaire où, poussé par son père, il a tenté de trouver refuge dans l’amour de Dieu qu’elle défiera jusqu’à lui reprendre … Elle en paiera le prix !
Ovation pour les deux vraies vedettes de la soirée, le ténor Benjamin Bernheim, (Chevalier des Grieux). Sa voix, aux aigus magnifiquement resplendissants est d’une limpidité solaire et sa diction impeccable lorsque les airs sont dits … La jeune soprano Amina Edris ( Manon) - prix du Public au Grand-Théâtre de Bordeaux - confirme sa place parmi les grandes. Tous deux révèlent des couleurs d’une douce et puissante palette dans les duos « Nous vivrons à Paris » ou celui de « La main ». Les autres rôles masculins ne sont pas en reste avec Alexandre Duhamel ( Lescaut) qui offre une voix charnue et assurée Laurent Alvaro (le comte des Grieux) Damien Bigourdan ( Guillot de Mortfontaine) ténor puissant et comédien confirmé nous étonne … Le trio des courtisanes (Olivia Doray – Adèle Charvet – Marion Lebègue) est théâtralement très au point et vocalement bien accordé. Mais chacun des artistes, dans son registre, enrichit une distribution éclatante et joliment colorée où le chœur dirigé par Salvatore Caputo ne démérite pas. Marc Minkowski, à la direction musicale, de notre brillantissime Orchestre National Bordeaux Aquitaine éblouit la salle et soutient cet ouvrage, en étroite complicité par les notes et les rythmes de cette belle réussite à découvrir
Ecrit par Pierre Chep