Bordeaux
Jean-Pierre Terracol ne s’est pas trompé en invitant dans son théâtre la compagnie la Baguenaude. C’est Anne Marie Chevassus qui a écrit et qui joue cette étonnante comédie dramatique qui n’a jamais aussi bien porté son nom.
C’est une comédie parce qu’on y rit beaucoup et un drame bien caché sous les nippes et le visage blanc et affable de ce personnage extraordinaire ; une vieille dame charmante et parfaitement folle. Et heureusement pour nous si cette femme est cinglée comme on dit et cette évidence est rassurante pour le spectateur. Souvent excessive jusqu’au grotesque, elle nous ressemble un peu trop. Comme le héros de Cervantès, Don Quichotte, l’héroïne se perd dans des divagations d’une drôlerie grinçante nous tendant souvent un miroir effroyable de nos propres ruminations intérieures.
Dans son délire, elle nous échappe souvent comme un oiseau s’enfuit d’un orage vers des cieux plus calmes dans des chants et des discours étranges dans différentes langues. On devine à la musique des mots de l’italien, le scandé de l’espagnol, le lyrisme surprenant de l’allemand, des dialectes peut-être africains et autres… Elle soliloque, s’adressant à des interlocuteurs invisibles, rejouant des conversations presque mondaines du passé et des scènes plus cruelles où affleure l’évocation d’un drame qui explique, peut-être, l’exil de la raison de cette femme. Soudain, elle nous prend à partie, elle explique, raconte, on la suit fasciné, elle nous bouscule et nous extirpe de notre torpeur tranquille de spectateur. Elle joue avec les accessoires dans un décor minimaliste qu’elle déconstruit avec méthode ; une table, un cabas de légumes, une chaise et une écuelle, beaucoup de trouvailles étonnantes, avec notamment une scène hilarante au confessionnal que je vous laisse découvrir.
Elle nous happe dans son univers. C’est un électrochoc si intense que le temps passe vite en sa compagnie et lorsque la lumière s’éteint sur la fin du spectacle on reste un peu abasourdi comme s’il nous fallait un temps pour revenir de ce voyage sur un continent à la fois terriblement familier et si étranger, alors les applaudissements éclatent. Ici pas de tendresse mièvre, mais plutôt une sorte de compassion sur la grandeur et la folie humaine, vous n’oublierez pas cette vieille dame au regard aiguisé qui décortique nos faiblesses.
Ce soir vendredi 3 novembre à 20h et demain samedi 4, deux représentations : une à 17 h et l’autre à 20 h. Attention, pensez à réserver ou à arriver de bonne heure…
Théâtre La Lucarne
3 rue de Beyssac
33800 Bordeaux
(Tram C arrêt Saint Michel, moins d’une minute à pied).
Theatre-la- lucarne.com

Ecrit par Marie-Laure Bousquet
Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk
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