Fargues Saint-Hilaire
La salle du Carré des Forges de Fargues-Saint-Hilaire proposait ce samedi 23 novembre 2024 une représentation de l’opéra rock THE WALL de Pink Floyd par le groupe PIG FLIGHT, formation girondine qui , depuis un peu plus de dix ans, rend hommage à la musique de ce groupe majeur du siècle dernier qu’il n’est plus besoin de présenter.
THE WALL a été, reste et restera un monument musical et artistique. Dernière œuvre (quasiment) du groupe dans sa composition légendaire des années 1970 (en convenant d’ignorer un ultime album ultérieur passé – à juste titre – dans les oubliettes de l’histoire), ce double album, concept album, s’est doublé de la sortie d’un film du même nom réalisé par Alan Parker qui a illustré en images l’histoire de vie portée par le disque. Car THE WALL qui relate la dérive, les délires et le glissement dans la folie d’un artiste (dénommé Pink …) s’est très fortement inspiré de l’expérience personnelle de Roger Waters, bassiste et chanteur du groupe, dont l’omniprésence et l’omnipotence auraient largement marqué la création de l’oeuvre et … la dislocation à venir du groupe originel (qui renaitra une décennie plus tard, sans Waters, après quelques affres juridiques).
Si Roger Waters peut être crédité de la majorité des compositions de l’album, il convient d’observer que les interventions de David Gilmour (guitariste du groupe originel et ensuite leader et chanteur de la reformation) ont marqué la signature du son Pink Floyd et particulièrement les morceaux les plus fameux de THE WALL (le tubesque Another brick in the wall et le majestueux Comfortably numb). Reconnaissons d’emblée que PIG FLIGHT aura su, de la plus belle façon, faire honneur dans sa prestation à la personnalité torturée de Waters (par le jeu de son chanteur) comme à la musicalité de Gilmour (par la qualité de ses deux guitaristes).
La prestation était annoncée donc sous l’aune d’un opéra rock, appellation paraissant de prime abord quelque peu emphatique tout de même … et pourtant cela y a tout a fait correspondu grâce au soin particulier mis par le groupe PIG FLIGHT à livrer une performance globale joignant une exécution musicale et une théatralisation fidèles à l’original tout en étant agrémentées d’apports personnels parfaitement intégrés.
Le spectateur est déjà accueilli par un … livret !! Deux feuillets A4 joliment imprimés sur un épais papier glacé relatent d’une part, avec quelques illustrations à l’appui, la génèse de l’album et exposent, d’autre part, une explication rapide de son contenu morceau par morceau. C’est fourni, très documenté et très pédagogique.
La mise en scène est ensuite très étudiée.
La reprise d’extraits sonores de l’album (les phases de bruitages, de bombardements, de sonneries téléphoniques …) comme d’extraits visuels du film en vidéo étaient prévisibles mais PIG FLIGHT a mis sa propre patte dans la mise en scène générale de son spectacle en le construisant comme les films de l’époque du cinéma muet. Ainsi tout au long du spectacle, des textes rapides guident le spectateur dans l’évolution de l’histoire où la présentation des personnages (le professeur tortionnaire, le dictateur mégalomane …) ; le premier message diffusé avertit par ailleurs que le spectacle présentera une idéologie que ne partage absolument pas le groupe (la folie de Pink le menant dans un délire fasciste exacerbé). De nombreuses vidéos originales, créées par le groupe, mettant parfois en scène ses membres, constituent d’ailleurs la majeure partie du fond visuel et permettent d’en présenter les membres ainsi que leur équipe technique dans un générique de fin.
A côté, ou plutôt au devant de ces illustrations sonores et visuelles, c’est à une interprétation théatrale des rôles, avec costumes et même une marionnette du précité professeur tortionnaire, que se livrent le chanteur et la chanteuse, accompagnés parfois du jeu de scène des musiciens ou de figurants dans la salle. Les morceaux sont ainsi le prétexte à l’enchainement de saynètes dont certaines se révèlent particulièrement inspirées (The trial avec des musiciens grimés) ou convaincantes (la mère étouffante de Mother). L’effet immersif est réussi, la mise en scène finale de la dérive dictatoriale avec bannières, milice, intrusion dans le public, le tout dans une ambiance lumineuse rouge (feu ou sang ?) et sous le poids de la rythmique militaire accompagnant les riffs de guitare oppressants (waiting for the worms) est impressionnante. Elle pourrait, dans le contexte actuel, donner à réfléchir.
N’oublions pas ici l’essentiel : la musique. PIG FLIGHT comporte huit membres : un chanteur, une chanteuse, un batteur, un bassiste, deux claviers et deux guitaristes. L’interprétation des morceaux est très fidéle à l’oeuvre originale sans être totalement identique. La richesse des arrangements est restituée, les sonorités cristallines des soli gilmouriens ou la douceur des passages acoustiques (plus watériens) nous bercent tout au long du spectacle sans que soit négligée la lourdeur des morceaux plus violents. La qualité de l’exécution est indéniable et les musiciens sont modestes dans leur présence, les passages (notamment à la guitare) où la technicité comme la virtuosité sont évidentes restent joués sans artifice ni grandiloquence, ce qui n’a pas empêché le public de les apprécier à leur juste valeur au regard du volume sonore croissant des applaudissements. Le chanteur est convaincant dans son jeu de scène et son spectre vocal ; le choix de faire chanter certains morceaux par une voix féminine (ceux des personnages féminins de la mère, de l’épouse et de la groupie) apporte un relief original. Nous avons été aussi agréablement surpris par l’interprétation de Bring the boys back home par le chanteur en voix solo (quand l’original est chanté sur l’album par un choeur d’enfants) qui donne, pour une orchestration similaire, une tout autre dimension au morceau.
Et en cadeau bonus conclusif pour un rappel, PIG FLIGHT a joué deux morceaux de l’album The dark side of the moon (Brain damage et Eclipse) ce qui a prolongé le plongeon dans l’âge d’or de l’ambiance floydienne sans trop s’éloigner du sujet (« the lunatic is on the wall » …).
Ce spectacle qui captive tout au long de ses deux heures trente (incluant un entracte de 15 minutes conforme aux habitudes de Pink Floyd dans ses concerts) est une très belle prestation qui remémore l’ambiance de toute une époque.
Ecrit par Philippe P.