Bordeaux
Texte de Marion Siéfert et de Matthieu Bareyre
Mise en scène Marion Siéfert
Avec Lila Houel et Lorenzo Lefebvre
Au Tnba
« Ici c’est no limit et c’est ça qui est génial »
Le titre peut prêter à confusion car il évoque immanquablement « Sugar Daddy » ce site qui met en relation de jeunes étudiantes désargentées avec des personnages plus que douteux qui se repaissent de leur jeunesse en échange de cadeaux dispendieux ou de financements de leurs études. Lequel site, à la limite de la prostitution est dénoncé régulièrement par diverses associations.
Mais non, il s’agit plutôt là de dénoncer l’emprise des jeux vidéo sur les adolescents souvent en mal de vivre quand ce n’est pas pour échapper à beaucoup plus grave, en l’occurrence ici, à l’inceste.
Dès l’ouverture et sur le grand écran du Tnba, nous sommes happés par une captation d’un jeu vidéo où les avatars de Mara et de Kevin se battent avec acharnement ; couleurs violentes, sons tonitruants et projection saccadée … interrompue par la voix du père et retour à la réalité.
Nous sommes un soir de brume dans le Sud de la France. Autour d’une grande table posée sur la scène, la mère infirmière en réanimation, le père pompier, Toto le fils étudiant qui est « monté » à Paris, et les trois sœurs, entament une conversation des plus banales ; quelques notes d’humour et un « petit jaune » plus loin, la mère évoque la fin de vie, sa difficulté face à des moments aussi lourds, sa fatigue, et alors que le père raconte ce qu’il a découvert dans le portable de Mara, elle va dénoncer la dichotomie entre la pornographie ambiante chez les jeunes d’aujourd’hui, versus les discours puritains, voire rigides des néo-féministes.
Retour au virtuel avec en vis-à-vis la projection des deux visages de Mara et de Julien
Elle est claire, pure et sincère, elle voudrait devenir star, lui dit être issu d’un milieu familial différent, forcément plus bourgeois, on le sent profondément manipulateur. Comme beaucoup d’adolescents, elle se sent morcelée, « comme un miroir cassé » »pleine de petits bouts » sœur de …, fille de … Il lui répond avec un art consommé, lui disant ce qu’elle veut entendre et la persuade de rentrer dans un jeu « DADDY » où elle pourra devenir tout ce qu’elle souhaite et pourquoi pas cette star dont elle rêve ?
Le nouveau plateau représente le jeu où Mara a été plongée. Un paysage onirique s’offre à nous, monticules de neiges, métaverse pervers où nous suivrons sa métamorphose et sa descente aux enfers, toujours sous la conduite de son mentor Julien.
La mise en scène de Marion Siéfert est ébouriffante grâce aux effets spéciaux et à l’utilisation de différentes techniques informatiques, la magie opère malgré tout, la fusion avec le théâtre aussi.
On ressent bien l’atmosphère glauque et ambigüe de ce jeu où réel et virtuel se troublent ; Certains moments de chorégraphie sont somptueux. D’autres évoquent des comédies musicales américaines ou grandes figures du cinéma comme celle de Marilyn Monroe entre autres.
Julien, Lorenzo Lefebvre dansant sur un fauteuil roulant, balançant nonchalamment ses jetés sur la valse du Guépard de Visconti nous offre l’un des moments les plus aboutis, un instant suspendu d’une grâce horrifique.
Lila Houel / Mara est délicieuse de fragilité mais pas seulement, forte et violente aussi dans ses révoltes, elle sait à merveille camper cette adolescente tourmentée et victime.
Un grand, très grand moment de théâtre, un spectacle complet à voir impérativement.
Avec Émilie Cazenave, Lou Chrétien-Février, Jennifer Gold, Lila Houel, Lorenzo Lefebvre, Charles-Henri Wolff
Au Tnba jusqu’au vendredi 29 novembre
Ecrit par Josette Discazeaux