Bordeaux

Michel de Montaigne, connu pour ses Essais qu’il rédige à partir de 1572, a pour lieu d’origine Bordeaux. Son nom est inscrit sur les murs de la ville, le musée d’Aquitaine accueille de nombreux objets liés à son histoire, dont son cénotaphe. Mais que savons-nous des lieux qu’il a fréquenté, dans lesquels il a résidé ? Visitons ensemble les endroits qui ont marqué la vie quotidienne bordelaise de l’écrivain.



Débutons l’excursion du côté de sa maison familiale au n°23 et 25 de la rue de la Rousselle. Cette maison appartenait à ses parents, il y vécut durant son enfance ainsi que de 1565 à 1570, après son mariage. La raison de l’emplacement s’explique par le passé marchand de sa famille. En effet, Ramon Eyquem, l’arrière grand-père de Michel de Montaigne était marchand de poissons salés et d’huile, son commerce lui permit de s’enrichir, et d’acheter en 1477 la seigneurie de Montaigne dans le Périgord. Ce patrimoine fut transmis au père de l’écrivain, qui vendait à son tour du poivre et du pastels, marché alors très florissant. Les Montaigne possédaient plusieurs maisons et entrepôts dans le quartier de la Rousselle, où débouchait à l’époque le Peugue aujourd’hui sous nos pieds. La Rousselle était LE quartier marchand, où amarraient les bateaux venus de l’Europe entière. D’ailleurs la tour d’entrée du Peugue portait le nom de la famille, en lien avec la maison de Grimon Eyquem, le grand-père de Michel de Montaigne, alors accolée à celle-ci. Ces habitations, dont celle au n°23 et 25, sont aujourd’hui détruites où cachés par les façades du XVIIIème et XIXème siècle, il ne reste que certains éléments internes comme une cheminée ou une tour. La deuxième résidence personnelle de l’auteur des Essais se situe au n°12 rue du Maréchal-Joffre en face de l’Ecole de la Magistrature. A l’instar des maisons du quartier de la Rousselle, elle est en grande partie démolie. Néanmoins il est possible d’observer au-dessus d’un mur aveugle, à l’angle de la rue Cabirol, une petite statue d’animal portant un blason aux armoiries aujourd’hui effacées (peut-être celles des Montaigne). Grâce à des sources écrites, nous savons également que le bâtiment hébergeait une tourelle et une porte d’entrée cintrée en ogive.

Quartier Saint Eloi, rue de la Rousselle et Palais de l’Ombrière repérés sur un plan d’époque

Ainsi, pendant longtemps, de nombreux édifices ont marqué dans le paysage bordelais le prestige de cette lignée. Lignée connu également pour sa place au sein du pouvoir municipal. Effectivement, Michel de Montaigne, et son père avant lui, ont été maire de Bordeaux. De ce fait, il résida pendant son mandat de 1581 à 1585 à l’ancienne « mairerie » de la ville (logement de fonction des maires et lieu de réunions pour les cas exceptionnels). Ce bâtiment est désormais inclus dans le schéma de l’église actuelle Saint-Paul, dont il ne reste que la tour. Celle-ci, au même titre que le beffroi d’un hôtel de ville symbolisait par sa hauteur la puissance du pouvoir de la jurade, alors en concurrence avec celui de l’Église, incarné par le clocher. Cette tour est devenu paradoxalement, et ironiquement un lieu ecclésiastique. Continuons la visite et dirigeons-nous vers l’ancien hôtel de ville. L’édifice englobait l’îlot longeant la murail du XVIIIème siècle, c’est-à-dire de nla Grosse-Cloche jusqu’à la rue Sainte-Catherine. La Grosse-Cloche faisait office de beffroi, et l’église Saint-Eloi en face, accueillait chaque année les jurats pour leur serment. Nous y reviendrons plus tard mais ce quartier fut très fréquenté par Montaigne, et ceci à plusieurs moment de sa vie. Avant son rôle de maire et la rédaction de ses Essais, l’écrivain fut aussi membre du Parlement de Bordeaux en 1557. Le palais de l’Ombrière, qui hébergea le Parlement dès sa création en 1462 par Louis XI, pour faciliter l’emprise royale sur cette région de nouveau française, fut l’institution la plus réputée du Sud-Ouest, notamment à l’époque de Montaigne. Pourquoi ? Car c’est là, près de la place du Palais, que l’humanisme s’est développé et épanoui à Bordeaux. Etienne de La Boétie, le grand ami de Montaigne, siégea longtemps en ce lieu, où les cours de rhétoriques et de droits furent mis en application par les plus grands.

Lieu de l’imprimerie de Simon Millanges
16 rue Saint James

Ils furent mis en application en ce palais maintenant disparu, et introduit aux élèves du Collège de Guyenne. Cet établissement fondé en 1533 dans l’idée de créer une élite intellectuelle, participa à la diffusion de la pensée humaniste. Le XVIème siècle est un des âges d’or de l’Institution Universitaire. La rue correspondant à son emplacement porte aujourd’hui le nom du Collège (rue de Guienne), elle se trouve près de la Grosse-Cloche derrière l’ancien hôtel de ville. C’est ici que Montaigne forgea ses armes d’écrivain, étudia les textes antiques, le latin, mais aussi la littérature. Il dépeint son école dans les Essais : « très florissant pour lors et le meilleur de France », livre 1, chapitre 26. Le bâtiment ferme ses portes à la fin du XVIIIème siècle, concurrencé par les écoles privées professionnelles. Cependant, il reste un dernier lieu qui est lui encore visible de nos jours : l’imprimerie de Simon Millanges. La rue Saint-James, non loin du Collège, est dès le XVIème siècle l’artère des libraires-imprimeurs, et ceci jusqu’au XIXème siècle. Simon Millanges, était un intellectuel qui se lança dans l’aventure de la presse, sous l’impulsion d’Elie Vinet. Il passa en 1573 un contrat avec la municipalité pour obtenir le titre de bourgeois, et finit par détenir le monopole de l’impression à Bordeaux. C’est lui qui publie la première édition des Essais en 1580, probablement derrière les murs du 16 rue Saint- James. Les bas-reliefs au dessus de la porte d’entrée contrastent avec les autres édificesn(angelos, médaillons à l’antique, plusieurs personnages...). La façade en elle-même est typiquement Renaissance avec ses fenêtres à meneaux, la symétrie des travées etc. Michel de Montaigne a grandi dans Bordeaux, et il n’est pas étonnant que nombreux soit les lieux marquant son histoire. Je vous invite à vous balader dans Saint-Eloi sur les traces de cet écrivain humaniste.

Porte du pont Saint Jean et porte Caillau (orthographe de l’époque) et Palais de l’Ombrière en arrière

Sources :
Annick BELLEGARDE, Guide du Bordeaux médiéval, Ed. Sud-Ouest, 2019.
Annick DESCAS, Dictionnaire des rues de Bordeaux, Ed. Sud-Ouest, 2008.
GAULLIEUR, ERNEST, Histoire du collège de Guyenne : d’après un grand nombre de
documents inédits, Ed. Paris : Sandoz et Fischbacher, 1874.
Marie-Madeleine COMPÈRE, Dominique JULIA, « 33 BORDEAUX, collège de Guyenne,
collège de plein exercice » [article], Publications de l’Institut national de recherche
pédagogique, 1984, p. 141-147.
PHILIPPE PRÉVÔT, RICHARD ZÉBOULON (photo.), Bordeaux petits secrets et grandes histoires : guide du promeneur curieux, Ed. Sud-Ouest, 2020.
Pierre GARRIGOU GRANDCHAMP, « Tentative de restitution palatiale à Bordeaux » [compte-rendu], Bulletin Monumental, 2010, p.107.

Ouverture : Statue de Michel de Montaigne, côté Sud place des Quinconces face à la statue de Montesquieu côté Nord.


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