Bordeaux
Catherine Marnas bouillonne souvent d’idées originales et cette invitation aux professionnels à cette promenade dans les méandres d’un théâtre ouvert et enfin accessible aux découvertes de ces moments de recherches en fabrication laissait forcément présager le meilleur de demain pour tous les théâtres enfin libres d’ouvrir.
Et nous l’étions libres et heureux, sous nos masques, bravant les averses, essayant de deviner dans un regard ce bonheur de partages d’esquisses de travail, de recherches, de maquettes à ordonner, de plaisir, en découvrant parmi la dizaine de spectacles « performances » organisés en deux parcours et sur deux journées, un maximum de richesses complices proposées ( en l’état et à l’instant T ) par des artistes heureux de Re-Vivre enfin sur scène … D’offrir aux nombreux spectateurs présents et – privilégiés – les fruits de leurs travaux, comme une friandise sucrée, salée ... Car dans une fabrique, on fabrique ! Et on recherche, on teste, on hésite et on propose … à la dégustation. De ces neuf esquisses, quelques-unes sont déjà de surprenants moments de spectacle qu’enfin, ce public large et tant attendu devrait découvrir bientôt.
Certaines de ces créations programmées entre Juin et Janvier prochains ont déjà franchi des étapes cruciales qu’il faudra venir applaudir tant ces mise en bouche sont prometteuses … Je pense entre-autres à quelques anciens de l’EstBa dont le talent n’est plus à démontrer.
- Les artistes compagnonnes et compagnons
Mais c’est de Sola Gratia, une « tragique soirée d’après » composée et portée à la scène par Yacine Sif El Islam, soutenu par son compagnon Benjamin Yousfi, une esquisse puissante de leur travail en cours qui était proposée dont je voudrais vous livrer mon ressenti … Le sol est blanc immaculé comme pour renforcer l’immensité d’une pureté soudainement souillée. Sur le plateau nu, seuls quelques éléments « techniques » micros, chaises, table, banc, écran, canevas horizontal comme un linceul, platines et clavier finement maîtrisés, en live, pour une création sonore de Benjamin Ducroq et ce soudain et pesant silence dés l’entrée des deux hommes au moment où le résumé de cette agression sanglante s’imprime sur l’écran. « Bordeaux, le 3 septembre 2020, 1h30 du matin : Yacine Sif El Islam et son compagnon, Benjamin Yousfi, se font poignarder. Yacine a la joue tranchée et Benjamin un couteau planté dans le dos . »
Dés la découverte de ces mots projetés, le comédien, face à nous, dans un mal être et une douleur à peine évanouie incrustée sur son visage émacié, ses yeux de braise noire captent notre attention. De dos et torse nu face au canevas, son double, son aimé, brode en lettres de sang cette lâche agression. La voix de ce superbe comédien qu’est Yacine Sif El Islam, au micro, nous enveloppe peu à peu et ses paroles « sales pédés » lancées par l’homme qui s’acharne sur eux résonnent comme un cri de douleur et d’impuissance face à la bêtise de l’humain qui nous imprègne soudainement, violemment ! L’auteur interprète, multiple performer de talents mêlés, partagera avec nous, mais autrement qu’au théâtre dans sa forme habituelle, hormis ce drame encore présent et insupportable, des épisodes de quelques trente ans de sa vie, de ses rencontres souvent glauques mais aussi drôles ou surprenantes qui, toutes, ramènent à ce droit de reconnaitre aux minorités, quelles qu’elles soient, à vivre, tout simplement.
Ecrit par Pierre Chep