Pessac
À Pessac, ce samedi 20 septembre, Sortie 13 a fait salle comble pour le retour de Daran en power-trio. Basse au cou, voix grave, il a déroulé les titres de Grand Hôtel Apocalypse dans l’ordre de l’album, ouvrant des parenthèses sur trente ans d’Huit Barré. De Mary Bach en éclaireuse à l’instant gâteau pour Roman Gaume, récit d’une soirée simple et fiévreuse où l’on a retrouvé l’homme et ses histoires.
Située à Pessac, à proximité de l’arrêt de tram France Alouette, Sortie 13 est une salle pluridisciplinaire ouverte aux musiques actuelles et aux arts visuels. Le lieu cultive une programmation éclectique, blues, rock, metal, expositions et théâtre, portée par son directeur Vincent Charnay et une équipe au contact. En ce moment, les dessins colorés de l’illustratrice bordelaise Lulie y sont accrochés jusqu’en octobre (http://instagram.com/lulieillustrations) : une douceur graphique qui contraste avec l’électricité à venir.
Je vous dois un préambule personnel. J’avais tardé à réserver. « Complet », m’annonçait la billetterie du site internet. Samedi, en tout début d’après-midi, j’envoie un mail pour une accréditation de dernière minute ; dans l’heure, Lucie, qui s’occupe de la communication de la salle, me répond favorablement. Geste simple, mais précieux qui méritait d’être salué et m’a permis de vivre cette soirée de l’intérieur...
Le concert démarre un peu avant 21 heures avec Mary Bach, jeune auteure-compositrice-interprète croisée par Daran lors des Rencontres d’Astaffort, l’événement fondé par Francis Cabrel. Elle ouvre la soirée avec un set sobre qui met les mots en avant. On comprend vite pourquoi Daran l’accompagne désormais en studio, il a notamment mixé et arrangé son morceau « Étrange absence ». Dans ses chansons, quelque chose sonde l’époque : une jeunesse en quête de sens, sans pose ni poseurs.
Dix minutes d’entracte, changement de plateau, et la lumière se resserre. Daran arrive en formation compacte : Roman Gaume à la guitare, Romain Viallon à la batterie, et lui… à la basse, quand on l’attend souvent guitare en bandoulière. Ce choix impose d’emblée un centre de gravité plus bas, une pulsation qui porte tout. « Choisis » ouvre le bal comme sur le disque : ligne de basse bien plantée, tension claire, voix grave et un rien éraillée, tenue avec une précision d’orfèvre. La plupart des nouveaux titres suivront l’ordre de l’album, comme si le concert reprenait le fil d’un récit pensé pour la scène.
Dès le deuxième morceau, « Je voulais te dire », l’intensité monte d’un cran. Daran y avance à découvert, entre aveu et pudeur, laissant passer ces phrases à double fond qui disent la fragilité autant que la loyauté. Puis le fil du temps se replie : « Augustin et Anita » (2000) surgit, chronique des inégalités sociales. En quelques images, chez « ceux pour qui il fait de plus en plus chaud » et « ceux pour qui il fait de plus en plus froid », la chanson montre l’écart qui se creuse ; des formules simples, efficaces, qui n’ont pas pris une ride. Plus loin, « Déménagé » (1997) rappelle un moment charnière, à la croisée de l’électrique et de l’électro ; peut-être aussi un clin d’œil à ce déménagement de vie, puisque l’artiste vit désormais au Québec, où son regard s’est aiguisé au fil des années.
Au fil du set, le trio montre la couleur : peu d’artifices, l’instrument droit dans l’ampli, le nerf d’un power-trio qui privilégie le geste à la démonstration. La guitare de Roman Gaume garde un grain rugueux mais net ; la batterie de Romain Viallon claque sans surjeu ; la basse de Daran dessine des lignes franches qui guident la dramaturgie. Sa voix, timbrée bas, légèrement éraillée, intense et délicate à la fois : elle raconte, elle cadre, elle porte. On mesure alors combien Grand Hôtel Apocalypse, sorti en novembre dernier, a été pensé pour ce format.
Et parce qu’une tournée est aussi une histoire de temps, Daran confie, entre deux morceaux, le bonheur de retrouver les salles après plusieurs festivals cet été. La virée « en intérieur » a recommencé la veille, vendredi 19, à La Rochelle ; Pessac est donc la deuxième date. Cela s’entend : la mécanique est déjà précise, mais l’envie de proximité reste intacte, comme si les murs renvoyaient chaque frappe et chaque souffle.
Dans le désordre, on entendra encore : « Dormir dehors », « Publicité », « Olivia », « Au moins », « Une sorte d’église », moment d’émotion suspendue, « Saoulé ». La salle chante, sourit, suit. On n’oubliera pas l’instant gâteau : en plein milieu du set, la salle entonne un « joyeux anniversaire » pour Roman Gaume, bougies et sourire gêné ; le rock sait aussi lever le pied pour laisser entrer la vie.
Si l’on prend un pas de côté, la soirée trouve sa place dans une ligne plus longue. Trente ans de Huit Barré : ces chansons continuent d’irriguer le présent comme une nappe phréatique. « Endorphine » (2017) demeure le jalon d’avant-hier, et le cycle ouvert avec Grand Hôtel Apocalypse resserre l’écriture et la forme. Dans l’ombre, un complice nourrit cette continuité : Pierre-Yves Lebert, plume avec laquelle Daran travaille depuis Pêcheur de Pierres (2002). Ses textes tressent liberté, amours perdues, quête de soi ; ils placent l’humain au centre, loin des slogans. On n’oubliera pas non plus l’autre versant du métier : Daran a composé pour d’autres (on pense à Florent Pagny, Johnny Hallyday) et signé une collaboration marquante avec la regrettée Maurane (« Dernier Voyage »). Tout cela irrigue son propre répertoire sans l’engloutir.
Bordeaux n’est jamais loin. Le dernier concert ici remontait à octobre 2019, soirée Bordeaux Chanson à l’INOX, Daran seul avec sa guitare. C’était l’autre face : la fragilité volontaire, un silence tenu. À Sortie 13, ce samedi, on a retrouvé l’énergie, le muscle, la joie simple des murs qui vibrent, deux façons d’habiter la chanson, la même main tendue.
Après les derniers accords, Daran a rejoint ses fans pour échanger, signer des disques et dédicacer son nouvel album. Fidèle à son habitude, il a pris le temps, sans distance ni artifice, rappelant combien son rapport au public reste direct et sincère. On repart avec cette évidence : Grand Hôtel Apocalypse n’est pas qu’un beau disque ; c’est un répertoire de scène, pensé pour être respiré en vrai, dans un triangle guitare-batterie-basse qui dit l’essentiel. Et une voix, surtout, grave, légèrement éraillée, parfois douce et parfois puissante, tenue avec une maîtrise technique impeccable.
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Remerciements à l’équipe de Sortie 13, pour l’accréditation de dernière minute).

Ecrit par Jean-Sébastien Dufourg
Créateur du site Bordeaux Gazette et Président de l’association.
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