Bordeaux
« Apprendre à vivre ensemble », tel était le thème de la conférence organisée conjointement par le CRIF Bordeaux Aquitaine et l’Association 2Rives, le jeudi 26 Février à l’Athénée Municipale. Echange de vues animé par Jean Petaux, professeur à Sciences Po Bordeaux, avec la participation d’Alain JUPPE, Maire de Bordeaux, ancien premier Ministre, et d’André AZOULAY, Conseiller de sa Majesté le Roi du Maroc.
Les paroles d’accueil d’Albert ROCHE et de Rachid ANANE
Albert ROCHE président du CRIF régional, évoque dans un monde miné par l’islamophobie, l’antisémitisme et la critique de la laïcité, l’impérieuse nécessité d’apprendre à vivre ensemble. Il ajoute que la cohabitation entre juifs et musulmans n’a pas débuté en France en 1980, mais il y’a fort longtemps et que nul n’est mieux placé que notre conférencier de ce soir, André AZOULAY, juif et conseiller du roi du Maroc, pour illustrer et évoquer la possibilité d’une cohabitation heureuse. Albert ROCHE est convaincu que la solution passe par l’intégration et non par l’assimilation, laquelle suppose une perte d’identité pas plus souhaitable qu’acceptable.
Rachid ANANE, président de l’Association des 2rives, après avoir remercié les conférenciers ainsi que la délégation universitaire de Rabat de leur présence, va d’emblée adresser ses pensées attristées les plus sincères aux familles des victimes des attentats. Il souligne que l’Islam qu’il a appris, est celui de la vertu, de la tolérance de l’apaisement et de l’échange : « dans ma famille, il y’a des Jésus, des Moïse, des Mohamed. » La nécessité d’un travail de régulation et de décrispation s’impose. La France doit devenir le pays d’une symbiose heureuse. Nous devons refuser la peur, la honte et le repli sur soi-même, car nous tenons à la France. Nous voulons des Français de la modération, et de conclure en remerciant Alain JUPPE de se battre pour une ville modèle du « vivre ensemble ».
Il vantera en conclusion la cohabitation à Essaouira, ce qui permettra à Jean Petaux de rappeler qu’au 16ème siècle dans cette très jolie ville, la moitié de la population était juive.
Alain JUPPE : L’identité heureuse
Après avoir accueilli très chaleureusement André AZOULAY et affirmé que nous avons grand besoin de telles rencontres, Alain JUPPE constate que la société française ne va pas bien, que les actes anti-juifs, anti-musulmans, anti-chrétiens ne font qu’augmenter. Et d’ajouter : « même si suite à mon projet d’identité heureuse, je me suis fait traiter de naïf, celui-ci reste cependant mon objectif ». Nous ne sommes pas là pour rendre les gens semblables (assimiler) mais pour intégrer. Intégration qui exige un socle de valeurs communes, la connaissance de la République et un véritable désir de vivre ensemble. Souvent difficile à comprendre, la laïcité fut d’abord un combat(1905), aujourd’hui elle est liberté de penser, aucune loi religieuse ne pouvant désormais prévaloir sur la loi républicaine. On a peur de l’autre quand on ne le connaît pas, c’est à l’école (et non pas au service militaire) que l’esprit critique et le libre jugement doivent se former et que le vivre ensemble doit s’apprendre. Y enseigner, non pas le catéchisme, mais le fait religieux dans un esprit laïque, serait loin d’être inutile. Alain Juppé ajoutera que tout au long de ses longues études, il n’a jamais entendu parler du Coran.
André AZOULAY : tristesse et espoir
Confiant à la salle son grand plaisir d’être à Bordeaux, André AZOULAY va, d’emblée et non sans une certaine tristesse dans la voix, dire qu’il trouve paradoxal que beaucoup d’hommes doivent actuellement courir le monde pour affirmer que les religions doivent se respecter. Quelle régression !!!
Et d’ajouter : « Nous avons collectivement reculé, trop souvent été spectateurs. » Toutes ces théories de choc des civilisations sont des théories scélérates et obscurantistes. Je suis juif et je vis au Maroc, un peu arabe, berbère, africain et musulman. Il ne doit pas y’avoir de dignité à double standard, et je réclame la même dignité, la même humanité et le même respect pour la Palestine, l’existence d’Israël est d’ailleurs à ce prix. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui se sont installés dans la fatalité de ce que nous vivons. Un accès identique à la parole et à la connaissance pour tous, est fondamental. Au Maroc, on connaît les cultures européennes, mais l’inverse est beaucoup plus rare, qui connait l’Islam des Lumières ? Dans la constitution marocaine il est dit que le Maroc a été ciselé par la civilisation berbère, puis juive, puis musulmane, quel autre pays le dit ?
Il faut compter ceux qui sont contre nous, nous n’avons plus le droit d’être des spectateurs, la société civile doit dire aux politiques que c’est là qu’on les attend. Personnellement je n’ai jamais dissocié ma marocanité de mon judaïsme, et de rappeler que Mohamed V avait refusé en 1942 de donner aux représentants du gouvernement de Vichy, la liste des juifs afin de leur faire porter l’étoile Jaune, alors qu’auparavant dans les années 1930, tout comme au temps de l’Inquisition, de nombreuses familles juives furent accueillies au Maroc.
Tarek OUBROU : la théologie de l’altérité
Dans un monde en pleine turbulence existentielle où la technique et l’émotion prennent le pas sur la raison, comment savoir vivre ensemble. Le doute, l’humilité dans les convictions, une théologie de l’altérité devraient être beaucoup plus fécondes que la recherche de l’identité dans un passé imaginaire avec des certitudes qui ne sont que l’autre visage de l’ignorance.
Conclusions
Pour Alain JUPPE, la défense du « vivre ensemble » passe d’une part par la ferme condamnation de tous les propos racistes et autres paroles obscurantistes et d’autre part par la promotion des valeurs républicaines, notamment à travers l’éducation.
André AZOULAY quant à lui, rappelle que la lutte contre l’antisémitisme va de pair avec la lutte contre l’islamophobie, que nous ne devons plus être spectateurs de ce qui se passe, et que comme vient de conclure une réunion qui s’est tenue le 25 février à l’UNESCO , les responsables musulmans doivent se mobiliser et qu’une mobilisation sans frontière s’impose.
Force est de constater que tant par sa voix, que par son discours et son attitude, André AZOULAY lors de son exposé a plongé l’assistance dans un silence attentif tel un véritable recueillement, expression à l’évidence authentique d’un humanisme blessé, profond et sincère, mais néanmoins non dénué d’espoir.
Ecrit par Dominique Mirassou