Bordeaux
Heinz Stahlschmidt, devenu par la suite Henri Salmide, s’est éteint le 23 février 2010 dans sa 92 ème année. Le 22 août 1944, ce sous-officier allemand de la Kriegsmarine méconnu encore aujourd’hui de la plupart des bordelais, empêcha la destruction du port de Bordeaux
L’artificier n’obéit pas aux ordres …
Bordeaux aurait aujourd’hui une physionomie bien différente si Heinz Stahlschmidt, sous-officier allemand, ne s’était pas opposé aux ordres du régime nazi. Artificier qualifié envoyé à Bordeaux depuis décembre 1941, il connaissait bien cette ville, s’était lié d’amitié avec des Français et était tombé amoureux d’Henriette, sa future femme. Il était aux commandes de plusieurs dépôts de munitions, ainsi que des hangars sur le port de Bordeaux, et surtout, il détenait la clé du blockhaus de la rue Raze. Tout le matériel nécessaire pour faire sauter les ponts (pont de pierre et passerelle ferroviaire) et les installations portuaires de Bordeaux était prêt depuis la fin du mois de juillet 1944. L’ordre du 19 août 1944 règle tous les détails d’exécution et désigne l’ordre de mise à feu des ponts de Bordeaux (nuit du 26 au 27 août), et de celui de Saint-André-de-Cubzac (nuit du 27 au 28 août).
La destruction des installations portuaires bordelaises est programmée pour le 24 août à 20 heures puis décalée au 25 août à 12h30. Ce sont les opérations allemandes de la dernière chance alors que les Alliés avancent inexorablement sur le territoire français. Mais cet homme va changer le cours de l’histoire en ayant le courage de désobéir aux ordres de ses supérieurs. Le 21 août, il prend seul la décision de faire sauter le blockhaus qui abrite la clef du dispositif. Le 22 août, il pénètre dans l’ouvrage, procède à sa mise à feu, et va s’asseoir au Jardin public en attendant que ça saute. Ça explose au-delà de toute espérance, il est 20h30 et Heinz Stahlschmidt vient de sauver le port de Bordeaux. Il se rendra ensuite chez des amis, notamment chez les frères Moga, qui l’hébergeront et le protégeront jusqu’à la Libération, le 28 août.
- Depuis la rive droite (carte postale d’époque)
En conscience …
À la question : "Pourquoi avoir ainsi risqué votre vie ", il répond très sobrement : « Je n’ai pas agi pour me sauver, ni pour une contrepartie, que j’ai d’ailleurs refusée à plusieurs reprises. Ce qui a tracé ma ligne de conduite, c’est d’abord ma haine pour le régime nazi, et c’est ensuite mon affection pour la France » […]. Ma conscience ne pouvait admettre l’ordre reçu, ajoutera-t-il. Détruire le port de Bordeaux, c’était faire 2 000 ou 3 000 morts pour un résultat nul du point de vue stratégique : la guerre était déjà perdue pour l’Allemagne.
Le 19 mai 1995, Henri Salmide reçoit des mains de Jacques Chaban-Delmas la médaille de la Ville de Bordeaux, cinquante et un ans après les faits, et la Légion d’honneur, le 7 décembre 2000, il est décoré par Monsieur Adrien-Claude Tisné, président de l’Union Départementale des Anciens Combattants (UDAC) de la Gironde, en l’absence des figures politiques locales.
Devenu français en 1947, Heinz Stahlschmidt fit un retour très émouvant sur les terres de son enfance, à Dortmund, en 2001, pour s’expliquer. À 82 ans, et malgré l’embarras des politiques locaux, il était venu faire taire la rumeur qui le disait traître ou déserteur, et il en fut profondément heureux : "Sans ma Légion d’honneur, je n’aurais pas pu venir parler".
- Animation musicale sous l’occupation
Qui a sauvé Bordeaux ?
Les négociateurs qui ont fait pression sur le général allemand, les résistants qui en
reprenant l’explosion à leur compte, ont bluffé ? Le maire et ses amis qui, après cinq années de bonnes relations avec l’Occupant, ont pu l’influencer pour que Bordeaux soit épargnée ? Parmi toutes ces hypothèses, dont chacune porte une part de vérité, l’acte de Heinz Stahlschmidt s’avère déterminant.
L’ennemi parti, chacun veut s’attribuer les mérites. La Résistance ne peut admettre que la survie de Bordeaux soit le fait d’un soldat allemand. Les agents anglais et américains proposent de fortes sommes d’argent à Heinz Stahlschmidt pour qu’il signe un papier reconnaissant qu’il a agi sous leur ordre. Il refuse …
La vie de cet homme dans Bordeaux libéré va être perturbée. La famille Moga l’accueille comme un cinquième enfant. L’historien Dominique Lormier, le journaliste Christian Seguin et l’écrivain Michel Suffran vont œuvrer à rendre en grande partie sa dignité à cet homme valeureux.
Source : Les Dossiers d’Aquitaine
Ecrit par Dominique Mirassou