Bordeaux
S’il est tout à fait improbable que les candidats aux prochaines élections municipales partent en cure à l’étranger au moment du scrutin et de la proclamation des résultats. Et absolument inimaginable qu’il faille que le roi en personne, prie avec fermeté le vainqueur de revenir dans sa ville au plus vite. Tel fut le cas du maire atypique qu’incarna Michel Eyquem de Montaigne...
Michel Eyquem de Montaigne naquit au château de Saint Michel de Montaigne (Dordogne) le 28 février 1533. Son père le met en nourrice jusqu’à l’âge de trois ans chez des bûcherons dans un pauvre village pour « l’accoutumer à la plus basse et commune façon de vivre », puis lui donne un précepteur qui ne lui parle que latin.
- Le château de Montaigne à Saint Michel de Montaigne (24)
- photo Bordeaux Gazette - Bernard Lamarque
Il passe la plus grande partie de sa vie à Bordeaux, dans le quartier de la Rousselle où ses aïeux se sont enrichis dans le commerce. Son père Pierre de Montaigne, féru d’humanisme, l’inscrit dès l’âge de 6 ans au collège de Guyenne. Michel de Montaigne fait ses humanités, grec et latin, puis étudie le droit à Toulouse. Il entre comme conseiller à la cour des Aides de Périgueux en 1554, puis au Parlement de Bordeaux en 1557 où il fait la connaissance du poète Etienne de La Boétie dont la mort en 1563 (victime de la peste) le bouleversera. Chargé de mission par le Parlement de Bordeaux, il voyage à travers l’Europe de 1559 à 1562. En 1565 son mariage avec Françoise de La Chassaigne lui assure une dot qui va le débarrasser de tout souci matériel. En 1568, très affecté par la mort de son père (qui fut également maire de Bordeaux), il se détache de la vie publique et s’adonne à des travaux littéraires. C’est approximativement à cette date qu’il commence la rédaction des « Essais ». Montaigne est sceptique, il doute, combat les doctrines trop figées, dénonce les certitudes aveugles, et cherche au plus profond de lui-même la vérité. Sa philosophie empreinte de tolérance et d’humanisme influence les littératures européennes.
En 1581, Michel de Montaigne approche de la cinquantaine. Il prend les eaux thermales à Lucques, en Italie, lorsqu’il apprend par courrier « qu’il a été élu par les jurats d’un consentement unanime, maire de Bordeaux ». La nouvelle s’accompagne d’un billet signé Henri III le félicitant et lui ordonnant « de gagner son poste sans délai ni excuse ». Michel de Montaigne peu enthousiasmé par son élection avertit les « Messieurs de Bordeaux » (jurats) de ses piètres qualités politiques et se décrit comme sans ambition, sans mémoire, sans vigilance, sans vigueur. Le Maire et Montaigne seront toujours deux, d’une séparation bien claire, dit-il.
Montaigne n’a pas été un Maire très assidu. Le nombre important de lettres envoyées pour qu’il se présente à la Mairie prouve qu’il se plaisait mieux dans son château qu’à Bordeaux. Montaigne, maire, diplomate, ambassadeur, va de la sorte recevoir le gouverneur Matignon et Henri de Navarre dans son château afin de rechercher par d’habiles négociations, la paix entre catholiques et protestants. En avril 1583, les affrontements religieux redoublent, Montaigne agit avec diplomatie et fermeté pour contenir la révolte des bourgeois catholiques et déjoue leur complot. Montaigne accorde toute sa confiance au gouverneur Matignon, auquel il semble prêt à céder la charge de Maire. Bien que réélu en 1583 (les mandats sont alors de deux ans), ayant eu à faire face à une épidémie de peste en 1585, Montaigne qui est un Maire aguerri et expérimenté ne va pas donner satisfaction aux jurats qui ont décidé de l’élire une troisième fois.
- La tour de Montaigne "Je passe là la plupart des jours de ma vie, et la plupart des heures du jour Montaigne}"
- photo Bordeaux Gazette - Bernard Lamarque
Montaigne renonce déclarant « vouloir se consacrer à l’étude des textes anciens de Sénèque et Plutarque ». Il se retire dans la librairie de son château où il continue à rédiger les « Essais ». Ce départ de Montaigne sera jugé comme une fuite par ses détracteurs qui l’accusent d’avoir écourté son mandat et quitté la cité avec sa famille pour se préserver de l’épidémie. Il a 52 ans, au calme dans son château il poursuit ses écrits. Le négoce familial lui assurant une certaine aisance, il déclare : « je veux que la mort me trouve plantant mes choux ». Cependant Montaigne ne reste pas cantonné à sa librairie, et sert d’intermédiaire entre le futur roi Henri de Navarre et le camp adverse. Henri IV monté sur le trône (1589) cherche à s’assurer ses services. Désabusé, Montaigne ne se consacrera plus qu’à préparer une nouvelle édition des « Essais », qui sera publiée après sa mort en 1595. Il meurt le 13 septembre 1592.
Elu Maire de Bordeaux sans l’avoir vraiment voulu, assez peu enthousiaste à l’idée d’en assumer la fonction, Montaigne aura finalement rempli les devoirs de sa charge en magistrat consciencieux, et à la satisfaction des Jurats. Vivant dans l’une des époques les plus tourmentées et les plus intolérantes de l’histoire de France, il restera le type même de l’humaniste soucieux de tolérance, d’humilité, de lucidité et de bon sens, fondant l’art de vivre sur une sagesse prudente. De quoi abandonner sa charge de Maire, et se consacrer à l’écriture des « Essais ».
Extrait : « Il n’est rien si beau et légitime que de faire bien l’homme ; ni science si ardue que de bien et naturellement savoir vivre cette vie ».
Sources : Histoire des Maires de Bordeaux - Les dossiers d’Aquitaine.
La statue de Michel Montaigne est située place des Quinconces côté Allées d’Orléans.
Le château de Montaigne est une propriété privée mais l’accès au parc est possible et la tour se visite. C’est aussi un château viticole qui produit du Bergerac sur un terroir identique aux Côtes de Castillon

Ecrit par Dominique Mirassou
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