Cenon

Les habitants du squat de la Zone Libre menacés d’expulsion

Les dizaines de familles réfugiées à la Zone Libre de Cenon craignent une expulsion imminente avec la fin prochaine de la trêve hivernale, étendue jusqu’en Juillet. Installés illégalement là-bas depuis Novembre dernier, les trois cent habitants de cette ancienne résidence pour personnes âgées pourraient devoir quitter les lieux à tout moment.



Menaces d’expulsion

Ils ont quitté leur pays pour fuir le danger ou la précarité, et n'ont pas eu d’autre choix que de trouver refuge à la résidence abandonnée Paul-Ramadier de Cenon. Pour la plupart en demande d’asile ou de titre de séjour, les quelques trois cent habitants, dont cent dix enfants, ont fait l’objet d’un relogement solidaire. Grâce à diverses associations girondines elles ont été dirigées vers la Zone Libre pour pallier au manque de solutions proposées par l’État. Bernie, membre du Collectif Bienvenue, explique : « pour la plupart ce sont des demandeurs d’asile, donc l’État a l’obligation de les héberger. Certains se retrouvent pourtant à la rue, ils n’ont pas de quoi manger, pas le droit de travailler. Ils ne peuvent pas trouver de logement ». Réfugiés à la Zone Libre, les occupants n’ont pas connu la tranquillité très longtemps. Le bailleur social Logévie, propriétaire des lieux, a rapidement demandé leur évacuation en vue de la vente du terrain au groupe immobilier Pichard Investissement. Suivant le processus légal logique, le dirigeant de Logévie Mario Bastone constate d’abord l’occupation des lieux grâce à un huissier, puis lance une procédure judiciaire visant à leur évacuation. Les occupants de la Zone Libre espèrent alors gagner du temps. Lors du procès du 17 janvier, il est décidé qu’ils bénéficient d’un délai de trois mois supplémentaires. Bien qu’expulsables dès fin Avril, les familles sont toujours à la Zone Libre : Mario Bastone a, pour le moment, choisi de ne pas faire recours à la préfecture et aux forces de l’ordre pour les expulser. La préfète de la Gironde Fabienne Buccio assure que les habitants ne seront pas évacués avant la fin de la trêve hivernale, étendue jusqu’en Juillet suite à la crise sanitaire. Cependant, la fin du dispositif hivernal d’urgence approche ; les associations craignent une vague d’expulsions prochaine dont la Zone Libre pourrait faire partie. Au vu de la rareté des solutions d’hébergement pérennes proposées par l’État, l’inquiétude continue de croître.

Des petits habitats individuels

Solutions d’hébergements précaires

Les habitants craignent un retour à la précarité qui précédait la Zone Libre. C’est le cas de Fiona, une albanaise de 28 ans réfugiée à Cenon avec son mari et ses deux enfants. Demandeurs d’asile arrivés en France il y a quatre ans, ils veulent à tout prix éviter un retour aux nuits incertaines passées chez des habitants, dans des hôtels ou dans leur voiture. Apres avoir quitté l’Albanie pour fuir la vendetta qui pèse sur leur famille, c’est dans une tente à Metz qu’ils ont passé leur premier mois en France. Via leur demande d’asile, ils ont ensuite bénéficié d’un logement en CADA (Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile). La vente de leur logement trois ans plus tard les a contraints à un retour à l’instabilité. Bernie, membre du Collectif Bienvenue impliquée à la Zone Libre, explique : « Il n’y a pas assez de place dans les CADA. Et bien qu’ils aient augmenté les places, ils ne les ont pas assez augmentées par rapport à la demande. On sait même grâce à des personnes qui y travaillent que dans certains CADA il y a dix places de libres, qu’ils maintiennent au cas ou il y ait des transitions de département en département ». Le manque de places disponibles en CADA pousse de nombreux demandeurs d’asile dans l’insécurité. Incapables d’accéder à un logement stable, ils font appel au Samu Social, souvent débordé et rarement apte à proposer des hébergements pérennes. Pour Bernie, les solutions du 115 sont « des hébergements d’urgence, ponctuels et précaires ». Elle explique également les difficultés liées à ce service d’urgence : « Ils sont submergés d’appels. Pour avoir une chance d’être hébergé il faut à tout prix appeler régulièrement pour faire monter les personnes ou familles sur la liste d’attente. Sinon elles dégringolent au bas de la liste ; ça leur permet de faire une sélection, ils ne peuvent pas faire autrement ». De nombreuses familles font l’épreuve de ces difficultés. C’est le cas de Nino, une mère géorgienne réfugiée à la Zone Libre. « Une fois je les ai appelés pour leur demander ce que je devais faire vu que ma petite avait à peine un an et ils m’ont dit qu’ils ne savaient pas. Le 115 ne nous propose rien, on nous dit de continuer et on nous souhaite bon courage ». Fiona s’y reconnait aussi. Apres leur séjour en CADA, sa famille et elle ont été forcés de passer d’un toit à un autre pendant un mois. « S’il n’y avait pas eu ce squat je ne sais pas ce qui se serait passé », explique la mère de famille. « Le mois où j’étais dehors je n’ai pas arrêté d’appeler le 115 et il n’y avait jamais de place. J’ai passé des nuits dans la voiture avec mes enfants et mon mari ».

Petite terrasse privative

La zone libre : un lieu de vie

Pour ses habitants, la Zone Libre est un lieu de vie accueillant qu’ils ne souhaitent pas quitter. Aux quatre-vingt maisonnettes et leurs jardins s’ajoutent des espaces communs, dont un foyer où les enfants peuvent entre autres recevoir de l’aide aux devoirs. Ce Samedi, une fête était organisée pour rassembler les habitants autour d’un groupe de musique. Ina, une jeune albanaise arrivée à la Zone en Mars, s’y plait : « on est bien ici, chacun a son petit appartement et on est entourés de bonnes personnes ». Fiona l’affirme aussi : « ici c’est vraiment bien. On a notre jardin, les enfants ont de l’espace pour sortir et jouent entre eux. C’est comme une grande famille ». Cependant, la peur de devoir tout quitter s’intensifie avec le temps. « Tous les matins en me réveillant j’ai peur », confie Fiona. « Si la police vient, qu’est-ce que je fais de toutes nos affaires ? Si on doit déménager je ne peux pas tout amener, il faudra encore racheter. J’ai peur tout le temps. Mes filles savent qu’on va partir, elles demandent quand la police va venir, je sais qu’elles comprennent ». Une même question se pose sur toutes les lèvres : « que se passera-t-il si on doit partir ? » L’avenir est incertain.

Foyer

Un futur incertain

Le directeur général de Logévie a assuré dans une interview pour Rue89 qu’il ne voulait pas expulser la Zone Libre sans solution de relogement. Cependant, quand bien même les occupants seraient tous relogés, rien n’assure qu’il s’agisse là de solutions à long terme. En effet, le relogement des individus serait organisé selon des préconisations gouvernementales ayant pour objectif une "réduction durable du nombre de bidonvilles dans les 5 ans à venir" (circulaire de 2018 attribués aux préfets de régions). Ces préconisations sont basées sur la mise en place d'une plateforme composée de différents acteurs sociaux (Samu Social, CADA, ARS) qui permettrait de coordonner l'expulsion et le relogement des occupants. Toujours est-il que ceci n’a été mis en place en Gironde qu’en 2019, et n’a pas encore prouvé son efficacité. Pour Bernie, "ce que l'on a constaté par expérience c’est que ca ne fonctionne pas très bien parce que c’est tout nouveau". La membre du Collectif Bienvenu a auparavant vu des familles dispersées parfois hors de la gironde, perdant le lien avec les associations, et se retrouvant à la rue après quelques nuits ou semaines à l’hôtel. Elle affirme : Il faut que le directeur [de Logévie] soit parfaitement conscient que les habitants risquent de n’être hébergés que quelques temps . Selon elle, expulser un squat ne fait que déplacer le problème. Le Collectif Bienvenue, comme d’autres associations venant en aide aux habitants de la Zone Libre, prône le logement inconditionnel. Pour Bernie « un toit est un droit, il ne devrait pas y avoir de conditions ». Elle souhaite que la préfecture et la mairie réquisitionnent des habitations vides (environ 10 000 à Bordeaux) afin de loger les plus nécessiteux, y compris les habitants de la Zone Libre. C’est une des promesses du nouveau maire de Bordeaux Pierre Hurmic, qui a promis de repenser la politique du logement à travers la réquisition de logements vides.

Ecrit par Anaëlle Montagne


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