Bordeaux
Cette histoire du vin de Bordeaux pendant la guerre, c’est un peu le sujet qui fache car toute cette période de l’occupation allemande à Bordeaux est souvent recouverte d’un manteau de silence mais un journaliste s’est intéressé au sujet en publiant un livre intitulé : Les raisins du Reich.
Le journaliste Antoine Dreyfus s’est intéressé à la collaboration entre le nazisme et l’univers du vin durant la seconde guerre mondiale. Il y avait déjà eu un "Le vin et la guerre" de l’historien Christophe Lucand qui évoquait les mêmes affaires mais avec peu d’écho prouvant que le sujet reste sensible. Comme le fait remarquer France 3 dans son reportage sur cette publication, tous les ouvrages parlant de ce problème n’ont jamais guère fait preuve d’une quelconque publicité et là le journaliste Antoine Dreyfus met les pieds dans le plat. Il n’y a pas que le bordelais qui est en question dans cet ouvrage, car toutes les régions viticoles sont considérées et de préférence celles de renom car les allemands ne se sont jamais intéressés à la "piquette du Languedoc" que fournissait ses 18 315 (cépage Seyve-Villard) de l’époque, depuis on a tout arraché pour "planter français" dans cette région afin de faire meilleur et concurrentiel vis à vis des autres régions. Les seuls produits qui ont intéressé les Allemands durant cette période sont le Champagne, le Cognac, les Bordeaux et les Bourgognes. Il semble que les vins de Loire et le Saumur n’ont jamais été d’un intérêt quelconque pour l’occupant nazi sauf peut être sur la fin du conflit ou l’alcool pouvait être à même de propulser V1 et V2. Si toutes les régions citées sont examinées avec acuité et précision dans leur comportement relationnel avec l’ennemi, il n’en demeure pas moins que le Bordeaux tient une place à part dans cet ouvrage avec un personnage politique particulier en la personne d’Adrien Marquet à qui plusieurs pages sont consacrées en soulignant sa participation à ces jours sombres de la vie bordelaise et girondine mais il n’est pas le seul nom à ressortir car il y a aussi celui de Roger Descas et Louis Eschenauer qui a droit à un chapitre complet. Dans chaque région on peut apercevoir un personnage plus important tenant un rôle éminent dans le commerce des "raisins du Reich" mais à Bordeaux ils ont été plutôt nombreux et importants à avoir participé à ce commerce.
Si dans ce livre le comportement de la Champagne est copieusement ausculté vu l’intérêt que lui portait le Reich, le Bordeaux n’est pas en reste avec l’énigmatique Lucienne Dentz voire Gertrude Kircher ou encore Gertrude Willudt source de très nombreux renseignements documentés et étayés sur les activités du négoce bordelais ayant entretenus des relations avec Heinz Boemers durant la guerre, le délégué général du Reich pour l’achat des vins dont elle était la secrétaire. C’est ainsi que dans chacune des régions viticole il y avait un Weinführer, à Reims Otto Klaebish et son frère Gustav né à Cognac était acheteur d’eau de vie à Cognac et Jarnac. A Beaune pour la Bourgogne c’est Fredrich Doerrer qui s’occupe aussi du Beaujolais, du Maconnais et des Côtes du Rhone mais il est rapidement remplacé par Adolf Segnitz mais au sommet de la hiérarchie c’est l’acheteur du Bordelais qui est à "la tête de la pyramide" sur ces achats et non détournement de biens, loin de la spoliation. Tous ces personnages ont la particularité d’être francophones voire francophiles et d’être des professionnels du vin en contact avec les négociants français bien avant l’entrée en guerre, souvent plus de quinze ans, ainsi tout ce petit monde se connait bien et sur le plan des affaires ont ne peut pas dire qu’il y ait eu rupture de contrats mais plus préférences de vente, de toute manière impossible de faire du commerce avec quiconque d’autres. Pour rester dans la vérité l’auteur n’hésite pas à citer des personnage ayant un côté sombre et un côté lumineux comme Robert-Jean de Vogüé en Champagne et il reconnait volontiers qu’à Bordeaux il y a eu des résistants et même de grands résistants mais aucun n’a appartenu au monde viticole. Ce livre se lit comme un roman policier, d’une seule traite mais la fin laisse un gout d’inachevé sur l’histoire elle même et dans la fébrilité de la reconstruction. Il y a eu beaucoup d’arrangements mais presque quatre vingt après et le procès Papon le syndrome de Vichy semble toujours présent, essayons de ne pas trop parler de tout ça mais on peut toujours lire le livre.
- Les raisins du Reich
Antoine Dreyfus
Flammarion
229 pages
21 €
ISBN 978-2-0815-1730-1
Ecrit par Bernard Lamarque
Co-fondateur de Bordeaux Gazette